Herge fils de Tintin
Botanique jusqu’aux locaux du Vingtième Siècle , où il doit prononcer le petit discours
que Hergé lui a préparé. Comme le raconta Lucien
Peppermans : « Je me souviens encore d’une phrase du
discours : “C’est le cœur étreint par une juste émotion…”
et la foule de crier : “Hip, hip, hip, hourra !” D’ailleurs, il
y a eu plus de cris de la foule que de phrases prononcées
par moi 11 . » Combien y avait-il de monde ? C’est difficile
à dire. Ce qui est sûr, c’est que les scouts catholiques, facilement mobilisables, avaient largement contribué à la
réussite de l’opération.
Le plus remarquable, c’est que Hergé a représenté préventivement ce retour triomphal dans les dernières pages
de son histoire : certaines des photos que publiera ensuite Le Petit Vingtième ressemblent de manière extraordinaire
à la dernière case de Tintin au pays des Soviets , dessinée
avant l’événement. Cette coïncidence entre réalité et fiction dut contribuer à crédibiliser le personnage.
Le retour de Tintin dépasse d’emblée le cadre du supplément pour la jeunesse. Le Vingtième Siècle lui-même
pratique sans gêne et sans rire l’autopublicité, consacrant
à l’événement une bonne partie de sa une du lendemain.
« Les enfants de Bruxelles font à Tintin, reporter du Petit
Vingtième , un accueil triomphal à son retour du pays des
Soviets », écrit le jeune journaliste Victor Meulenijzer. Le
héros d’Hergé vient de devenir l’une des vedettes du quotidien de l’abbé Wallez.
Ce dernier n’en reste pas là. Il commence à réfléchir à
la deuxième carrière de l’histoire, cette fois sous forme
d’album. Cette intuition n’avait rien d’évident, surtoutpour un éditeur de presse. Prévu pour le Salon de
l’Enfant, qui se tient fin juin 1930, le livre connaît
quelques retards, et ne sort finalement qu’au mois de septembre. Cela n’empêche pas Tintin au pays des Soviets de
remporter un succès considérable, à l’échelle de la Belgique francophone. Compte tenu de la différence de
population, les dix mille exemplaires vendus des Soviets correspondraient à plus de cent mille en France. Succès
d’autant plus impressionnant que les vingt francs que
coûtait le livre représentaient alors une jolie somme.
Une autre initiative de l’abbé est plus stupéfiante
encore : celle qui lui fit réaliser un tirage numéroté, destiné aux cinq cents premiers souscripteurs. C’est comme
une prémonition des collections qui se développeraient
bien des années plus tard. Les albums en question étaient
signés par Tintin et Milou : Hergé s’étant chargé de
Tintin et la secrétaire de l’abbé, Germaine Kieckens, avait
inventé, comme elle l’expliquait joliment, « une petite
signature de chien ». « C’est l’abbé qui suggérait tout ça »,
insistait-elle, en n’oubliant jamais de rappeler que « c’était
réellement un être exceptionnel 12 ». Mais il ne faut pas
non plus l’oublier : le contrat prévoyait que les bénéfices
de l’opération seraient partagés à parts égales entre Hergé
et l’abbé Wallez. Ce dernier se considérait non seulement
comme le patron du dessinateur, mais comme un véritable coauteur. À ce stade, il n’avait pas tout à fait tort.
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1 « Hergé nous parle de nos amis… Tintin et Milou », Le Soir , 20-21 novembre 1943.
2 « Conversation avec Hergé », in Benoît Peeters, Le Monde
d’Hergé , nouvelle édition, Casterman, 1990, p. 210.
3 Henri Roanne, entretien inédit avec Hergé, 1974.
4 Le Sifflet , 28 octobre 1928 ; quelques-uns de ces dessins sont
reproduits dans Hergé, chronologie d’une œuvre , Moulinsart, 2000,
tome I, p. 196-197.
5 Et peut-être faut-il entendre ce « Où aller ? » phonétiquement,
puisque telle est l’exacte prononciation belge du nom de son
employeur : « Wallez ». Tant le pays des soviets que le Congo furent en
effet de fermes suggestions de « l’abbé ».
6 René Micha, « Entretien avec Hergé », Le Petit Vingtième ,
15 décembre 1938.
7 Pierre Boncenne, « Tintin s’explique », Lire , n o 40, décembre 1978.
8 « Conversation avec Hergé », in Benoît Peeters, Le Monde d’Hergé ,
nouvelle édition, Casterman, 1990, p. 204. Cette série, dont Hergé ne
retrouvait pas le titre, est en réalité Count Screwloose of Tooloose de Milt
Gross ; une page en est reproduite dans le livre Tracé
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