Herge fils de Tintin
avait reçu. Il est beaucoup plus
plausible que Jacques Van Melkebeke, éphémère franc-maçon et grand lecteur de la Bible, se soit plu à semer
dans ces albums des allusions de ce type 4 .
D’un point de vue plus concret, Le Secret de la Licorne doit beaucoup à un autre ami dont Hergé venait de
retrouver la trace. Gérard Liger-Belair avait commercialisé
en 1939 un modèle réduit du « Stratonef H22 », mais
c’était surtout un grand spécialiste de la marine ancienne.
En juin 1942, alors que Liger-Belair vient de rentrer en
Belgique, le dessinateur le supplie de l’aider : « J’en suisencore au capitaine Haddock, mais je vais devoir faire
entrer en scène le chevalier de Hadoque et sa “Licorne”.
[…] Il faut que tu me procures au plus vite les plans d’un
vaisseau de guerre, si possible de l’époque Louis XIV 5 . »
Quelques jours plus tard, Liger-Belair lui propose de
s’inspirer d’un vaisseau de guerre français de quatrième
rang, à cinquante canons, Le Brillant . Quant à la figure
de proue, Liger-Belair l’emprunte à une frégate
anglaise. L’informateur d’Hergé réalise bientôt un plan
au 1/100 e , puis une maquette extrêmement précise 6 .
Tout au long de la publication de l’histoire, Hergé ne
manque pas de présenter régulièrement ses dessins à
Liger-Belair pour s’assurer qu’aucune erreur technique
ne s’y est glissée 7 .
Sur le plan commercial, la couleur aidant, les choses se
passent de mieux en mieux. Le premier tirage du Secret de
la Licorne est de trente mille exemplaires pour la seule Belgique francophone, ce qui est considérable. Il est amusant
de voir Van Melkebeke, qui collabora au scénario de cet
album, s’en faire le chroniqueur inspiré dans Le Nouveau
Journal où il est devenu critique d’art :
Le dernier Tintin vient de sortir !… C’est un superbe album
en couleurs, où se retrouvent, parées de grâces nouvelles, les
aventures parues en feuilleton dans Le Soir , durant de longs
mois.
Les enfants qui suivent avec passion les histoires que Hergé
conte et dessine pour eux avec tant de verve, les grands qui,
sans vergogne, font comme eux, ne se doutent pas des veilles
que coûtent à leur auteur ces mirifiques inventions.
Mais quelle récompense pour Hergé que la juste popularité
dont il jouit, et quelle satisfaction pour lui – la plus grande
pour un artiste – que d’avoir créé un « type », que dis-je ? plusieurs types ! Car le sympathique Milou mis à part, quels délicieux fantoches sont les deux policiers Dupond et Dupont, et
le capitaine Haddock, ce poivrot au cœur de lion !
Est-ce parce que « La Licorne » est aussi le nom d’une
galerie d’art bruxelloise de l’époque, toujours est-il que
Van Melkebeke profite de l’article pour régler ses comptes
avec les artistes belges, comme il le fait dans ses autres
chroniques.
Ce qu’il convient de souligner avec force, c’est que ces dessins, établis d’un trait sûr et souple, merveilleusement
expressifs dans leurs abréviations calculées, recèlent plus
d’art que maintes peintures prétentieuses et vides qui s’étalent, encadrées d’or, aux cimaises de nos expositions. […]
Il faut féliciter l’éditeur Casterman de l’exploit que constitue
en ce moment l’exécution d’un travail aussi soigné. Voici une
œuvre d’artiste belge – édité chez lui – qui non seulement ne
doit rien à personne, mais qui surclasse, et de loin, tout ce
qui se fait de similaire à l’étranger 8 .
Entre les deux parties du récit, Hergé n’a guère eu le
temps de reprendre son souffle. Le Secret de la Licorne s’estachevé dans Le Soir le 14 janvier 1943, et Le Trésor de Rackham le Rouge a démarré le 19 février, pour se terminer
sept mois plus tard. Jamais Hergé n’a travaillé aussi vite.
Ni de façon aussi remarquable. Charles Lesne, qui se
refuse à lire Le Soir , demande à Hergé de lui envoyer les strips parus dans le journal. Après avoir découvert
l’ensemble de l’histoire, il félicite le dessinateur en termes
particulièrement chaleureux :
Je me suis payé une pinte de bon sang, ce qui est rarissime,
aux temps que nous vivons. On m’avait dit tellement de
bien, de plusieurs côtés, du Trésor de Rackham le Rouge et de
ton nouveau personnage, Tournesol. C’est réellement fort
bien : plein d’imprévus, de rebondissements, d’idées neuves,
de gags extrêmement plaisants. Bravo, mon cher Hergé,
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