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vivra ! » Aux Etats-Unis, au Mexique, à Cuba, au
Venezuela, en Uruguay, au Brésil, on rebaptise des places, des quartiers, des
villages même, du nom de Lidice. L’Egypte, l’Inde, manifestent officiellement
leur solidarité. Des écrivains, des compositeurs, des cinéastes, des
dramaturges, rendent hommage à Lidice dans leurs œuvres. Les journaux, les
radios, les télévisions relaient. À Washington, le secrétaire de la Navy
déclare : « Si les générations futures nous demandent pourquoi nous
nous sommes battus dans cette guerre, nous leur raconterons l’histoire de
Lidice. » Sur les bombes larguées par les Alliés au-dessus des villes
allemandes, on écrit au pinceau le nom du village martyr et à l’Est, sur les
tourelles de canon des T34, les soldats soviétiques font pareil. Hitler, en
réagissant comme le vulgaire psychopathe qu’il est, et non comme le chef d’Etat
qu’il est aussi pourtant, va connaître avec Lidice sa plus formidable défaite
dans un domaine dont il pensait être le maître : à la fin du mois, la
guerre de la propagande, au niveau international, est irrémédiablement perdue.
Mais le 10 juin 1942, ni
lui ni personne n’en a encore conscience, et surtout pas Gabčík et Kubiš.
La nouvelle de la destruction du village plonge les deux parachutistes dans
l’horreur et le désespoir. Plus que jamais, la culpabilité les ronge. Ils ont
beau se dire qu’ils ont rempli leur mission, que la bête est morte, qu’ils ont
débarrassé la Tchécoslovaquie et le monde de l’une de ses créatures les plus
maléfiques, ils ont l’impression d’avoir eux-mêmes tué les habitants de Lidice,
et aussi que tant qu’Hitler ne les saura pas morts, les représailles
continueront indéfiniment. Enfermés dans leur crypte, ils ressassent tout ça
dans leurs pauvres têtes brisées par la tension nerveuse et parviennent à la
seule conclusion possible : il faut se rendre. Leur cerveau en feu imagine
un scénario délirant : ils vont aller demander à être reçus par Emanuel
Moravec, le Laval tchèque. Une fois introduits, ils lui remettront une lettre
expliquant qu’ils sont responsables de l’attentat, l’abattront, et se tueront
dans son bureau. Il faut toute la patience, l’amitié, la force de persuasion,
la diplomatie du lieutenant Opálka, de Valičík et de leurs camarades qui
partagent leur séjour dans la crypte pour qu’ils renoncent à ce projet insensé.
D’abord, c’est infaisable techniquement. Ensuite, les Allemands ne les croiront
pas sur leur bonne mine. Enfin, quand bien même ils parviendraient à réaliser
leur plan, la terreur et les massacres avaient commencé bien avant la mort
d’Heydrich, et continueraient bien après la leur. Rien ne changerait. Leur
sacrifice serait complètement vain. Gabčík et Kubiš en pleureraient de
rage et d’impuissance. Mais ils finissent par se laisser convaincre. Toutefois,
ils n’arrivent toujours pas à se persuader que la mort d’Heydrich a servi à
quelque chose.
J’écris peut-être ce livre pour
leur faire comprendre qu’ils se trompent.
241
« Polémique sur le net
tchèque
Un site internet conçu pour
intéresser les jeunes Tchèques à l’histoire du village de Lidice, entièrement
détruit par les nazis en juin 1942, propose un jeu interactif consistant à
“brûler Lidice dans un laps de temps le plus court possible”. »
( Libération ,
6 septembre 2006)
242
La Gestapo obtient si peu de
résultats qu’on dirait qu’elle ne cherche même plus les assassins d’Heydrich.
Elle cherche des boucs émissaires pour expliquer son incurie et elle croit en
avoir trouvé un. C’est un fonctionnaire du ministère du Travail qui, le
27 mai au soir, a autorisé le départ d’un train rempli de travailleurs
tchèques à destination de Berlin. Vu que les trois parachutistes restent
introuvables, cette piste en vaut bien une autre, et la Gestapo a donc
« établi » que les trois assassins (oui, l’enquête a quand même un
peu progressé, ils savent maintenant qu’ils étaient trois) étaient à bord. Les
hommes du palais Peček sont même en mesure de donner des précisions tout à
fait étonnantes : les fugitifs se sont tenus cachés sous les banquettes
durant le trajet et ont profité d’une brève escale à Dresde pour descendre du
train et disparaître dans la nature. Certes, l’idée que les terroristes aient
pu quitter le pays pour aller se réfugier en Allemagne peut sembler
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