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HHhH

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Titel: HHhH Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Binet
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réprimer un rictus de contentement. Il range
le précieux papier dans sa serviette. Nous sommes le 31 juillet 1941,
c’est l’acte de naissance de la Solution finale, et il va en être le principal
artisan.
109
    Lors du premier jet, j’avais
écrit : « sanglé dans un uniforme bleu ». Je ne sais pas
pourquoi, je le voyais bleu. Il est vrai qu’on voit souvent Göring dans un
uniforme bleu clair sur les photos. Mais ce jour-là, je ne sais pas s’il le portait.
Il pouvait aussi bien être en blanc, par exemple.
    Je ne sais pas non plus si ce
genre de scrupule a encore un sens à ce stade de l’histoire.
110
    « Bad Kreuznach, août 41.
Les championnats d’escrime allemands viennent de se dérouler pour la seconde fois.
Les douze meilleurs de la Reichssonderklasse [littéralement “classe
exceptionnelle du Reich”] ont été distingués et vont recevoir l’agrafe d’or ou
d’argent de la NSRL (Société national-socialiste pour la gymnastique). Au 5 e  rang
vient un Obergruppenführer [erreur de grade ou flagornerie par promotion
anticipée ?] de la SS et général de la police : c’est Reinhard
Heydrich, le chef de la police de sécurité et du SD. Il reçoit avec joie les
congratulations, mais toute son attitude respire la modestie du vainqueur.
Celui qui le connaît sait bien que le repos est pour lui une notion inconnue.
Ne s’accorder aucun repos ni relâchement, tel est son principe fondamental,
qu’il s’agisse de sport ou de service. »
    (article paru dans le magazine
spécialisé Gymnastique et Education physique )
     
    Celui qui le connaît sait
surtout qu’il vaut mieux ne pas lésiner sur les louanges envers ce génial
athlète de 36 ans, ni aborder la question du stress des arbitres au moment
de valider une touche contre le chef de la Gestapo. Ni évoquer Commode ou
Caligula qui se battaient dans l’arène contre des gladiateurs qui avaient
parfaitement compris qu’ils avaient plutôt intérêt à ne pas avoir le bras trop
lourd en face de l’empereur.
    Cela dit, il paraît que pendant
les tournois, l’Obergruppenführer Heydrich avait un comportement correct. Un
jour qu’il pestait contre une décision d’arbitrage, le directeur de la
rencontre l’avait remis sèchement à sa place en lui disant, devant tout le
public : « Sur la piste d’escrime, les seules lois sont celles du
sport, et rien d’autre ! » Abasourdi par le courage de l’homme,
Heydrich n’avait pas moufté.
    Il réservait ses accès d’ hubris pour en dehors, semble-t-il, puisque c’est en marge de ce tournoi de Bad
Kreuznach qu’il aurait confié à deux amis (mais depuis quand Heydrich a-t-il
des amis ?), en termes très vifs, qu’il n’hésiterait pas à mettre hors
d’état de nuire Hitler en personne, le cas échéant, si « le vieux fout sa
merde ».
    Qu’entendait-il par là
exactement ? J’aurais bien aimé le savoir.

111
    Cet été, au zoo de Kiev, un
homme est entré dans la fosse au lion. À un visiteur qui voulait le retenir, il
a dit, en enjambant la barrière : « Dieu me sauvera. » Et il
s’est fait dévorer vivant. Si j’avais été là, je lui aurais dit : « Il
ne faut pas croire tout ce qu’on raconte. »
    Dieu n’a été d’aucune utilité
aux gens qui sont morts à Babi Yar.
    En russe, yar signifie
ravin. Babi Yar, le « ravin de la grand-mère », était un immense
dénivelé naturel situé à la périphérie de Kiev. Il n’en reste aujourd’hui qu’un
fossé gazonné, assez peu profond, entourant une impressionnante sculpture
érigée dans un style très socialiste à la mémoire des morts qui sont tombés là.
Mais lorsque j’ai voulu m’y rendre, le chauffeur de taxi qui m’y conduisait a
tenu à me montrer jusqu’où, à l’époque, s’étendait Babi Yar. Il m’a mené à une
espèce de fossé boisé, où, m’a-t-il expliqué, par l’intermédiaire d’une jeune
Ukrainienne qui m’accompagnait et me servait de traductrice, l’on jetait les
corps qui dévalaient du talus. Puis nous sommes remontés dans la voiture et il
m’a déposé à l’emplacement du mémorial, situé à plus d’un kilomètre .
    Entre 1941 et 1943,
les nazis ont fait du « fossé de la grand-mère » ce qui est
probablement le plus grand charnier de toute l’histoire de l’humanité :
comme l’indique la plaque commémorative, traduite en trois langues (ukrainien,
russe et hébreu), ici ont péri plus de cent mille personnes, victimes

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