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HHhH

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Titel: HHhH Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Binet
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Ukraine,
où la proximité du front russe empêche aucun observateur international de se
rendre pour vérifier. Luther, juste avant de se faire assassiner à son tour,
contacte la journaliste américaine, qui parvient in extremis , alors
qu’Hitler est sur le point d’accueillir Kennedy en grande pompe, à faire
remettre les précieux documents au président américain. Du coup, la rencontre
entre Kennedy et Hitler est annulée, les Etats-Unis reprennent le combat contre
l’Allemagne et le III e Reich finit par s’effondrer, avec vingt ans
de retard.
    Cette fiction fait de la
conférence de Wannsee en quelque sorte l’instant crucial de la Solution finale.
Certes, ce n’est pas à Wannsee que la décision a été prise. Certes, les
Einsatzgruppen d’Heydrich tuent déjà par centaines de milliers sur le front de
l’Est. Mais c’est Wannsee qui officialise le génocide. Il ne s’agit plus de
confier la tâche plus ou moins en douce (si tant est qu’on puisse tuer des
millions de personnes en douce) à quelques unités d’assassins, mais de mettre
toutes les infrastructures politiques et économiques du régime au service du
génocide.
    La réunion elle-même a duré à
peine deux heures. Deux heures pour régler essentiellement des questions
juridiques : que faire des demi-Juifs ? des quarts de Juifs ?
des Juifs décorés de la Première Guerre ? Des Juifs mariés à des
Allemandes ? Faudra-t-il indemniser les veuves aryennes de ces Juifs en
leur accordant une pension ? Comme dans toutes les réunions, les seules
décisions qui sont vraiment prises sont celles qui ont été décidées au
préalable. En fait, pour Heydrich, il s’agissait juste d’informer tous les
ministères du Reich qu’ils allaient devoir œuvrer en vue d’un objectif : l’élimination
physique de tous les Juifs d’Europe.
    J’ai sous les yeux le tableau
distribué par Heydrich aux participants de la conférence, qui détaille le
nombre de Juifs à « évacuer », pays par pays. Le tableau se divise en
deux parties. La première regroupe les pays du Reich, parmi lesquels on relève
que l’Estonie est déjà judenfrei , alors que le Gouvernement général
(c’est-à-dire la Pologne) possède encore plus de 2 millions de Juifs. La
seconde, qui donne une idée de l’optimisme nazi prévalant encore début 1942,
rassemble les pays satellites (Slovaquie 88 000 Juifs, Croatie 40 000
Juifs…) ou alliés (Italie y compris Sardaigne 58 000 Juifs…), mais aussi
des pays neutres (Suisse 18 000, Suède 8 000, Turquie partie
européenne 55 500, Espagne 6 000…) ou ennemis (les deux seuls
d’Europe qui restent à cette date : l’URSS, déjà largement envahie il est
vrai, 5 millions de Juifs, dont Ukraine, entièrement occupée, près de
3 millions, et l’Angleterre, 330 000 Juifs, mais très loin d’être
envahie). Par la persuasion ou par la force, il était donc prévu d’obliger
absolument tous les pays européens à déporter leurs Juifs. Total inscrit au bas
de la page : plus de onze millions. La mission sera à moitié remplie.
    Eichmann a raconté ce qui s’est
passé après la conférence. Une fois les représentants des ministères partis, il
n’est plus resté qu’Heydrich et ses deux plus proches collaborateurs, Eichmann
lui-même et « Gestapo » Müller. Ils sont passés dans un petit salon
aux boiseries élégantes. Heydrich s’est servi un cognac, qu’il a dégusté en
écoutant de la musique classique (du Schubert, je crois), et les trois hommes
ont fumé un cigare ensemble. Eichmann a rapporté qu’Heydrich était d’excellente
humeur.
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    Hier, Raoul Hilberg est mort.
C’était le père des « fonctionnalistes », ces historiens qui pensent
que l’extermination des Juifs n’a pas été réellement préméditée, mais plutôt
dictée par les circonstances, contrairement aux
« intentionnalistes », pour lesquels le projet était clair et net
depuis le début, c’est-à-dire, en gros, depuis la rédaction de Mein Kampf en 1924.
    À l’occasion de sa mort, Le
Monde publie des extraits d’une interview qu’il avait donnée en 1994, où
sont reprises les grandes lignes de sa théorie :
    « J’estime que les
Allemands ignoraient, au départ, ce qu’ils feraient. C’est comme s’ils
conduisaient un train dont la direction générale allait dans le sens d’une
violence croissante contre les Juifs, mais dont la destination exacte n’était
pas définie. N’oublions pas

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