Hiéroglyphes
Cité des Fantômes par le même chemin nous
obligerait à passer près du camp de Silano, perspective
qui ne me souriait guère. Au lieu de l’affronter, on
s’assura que pas un enfant ne risquerait de tomber dans le
puits à la plate-forme mobile, et puis on rebroussa chemin par
le lieu du Grand Sacrifice, en laissant à Ned le temps de
déraciner un petit conifère.
« Au
moins, j’aurai un bon gourdin. On est plus désarmés
qu’un couvent de bonnes sœurs. »
Pendant
qu’on refaisait la route en sens inverse, il tailla et rectifia
son futur gourdin avec ses grosses mains puissantes, tel Samson
préparant sa mâchoire d’âne contre les
Philistins. Quand on atteignit le théâtre romain, je
repérai la fumée du feu de camp à l’endroit
où Silano s’était installé. Si Astiza
l’avait d é sert é ,
quand remarquerait-on son absence ? À l’est, le soleil se levait et illuminait d é j à les cr ê tes.
On
refit le chemin en sens inverse jusqu’au premier grand temple
où l’on s’était arrêtés, le
Khazneh. Pendant que les deux autres buvaient au ruisseau, je me
faufilai, d’un bond, dans son intérieur ténébreux.
« Astiza ! »
Silence.
Etait-ce bien là le lieu de notre rendez-vous ?
« Astiza ! »
Seul
me répondit un écho moqueur. Avais-je encore mal
compris les intentions d’une femme ? Ou Silano la
gardait-il captive ? Était-elle simplement en retard ou
s’était-elle égarée, seule dans ce
labyrinthe ?
Je
ressortis en courant. La voûte céleste repassait du gris
au bleu, et le sommet des pics resplendissait à contre-ciel.
Il importait de continuer avant que Silano se rendît compte que
je l’avais envoyé dans une fausse direction. Mais je
n’avais pas non plus l’intention d’échanger
la femme que j’aimais contre un rouleau qu’il m’était
impossible de lire. Si nous repartions sans elle, je ne connaîtrais
plus de repos avant d’être édifié sur son
sort. Et si nous restions trop longtemps, mes amis risqueraient de se
faire tuer.
« Elle
n’est pas là.
— Alors,
il faut que nous partions, répondit Mohammed. Chaque kilomètre
qu’on mettra entre nous et cette clique d’infidèles
augmentera nos chances de salut.
— Je
suis sûr qu’elle va venir.
— On
ne peut pas l’attendre, cap’taine. »
Ned
avait raison. Je percevais vaguement les voix issues du camp de
Silano, sans pouvoir discerner si elles criaient de simple excitation
ou de rage.
« Encore
quelques minutes.
— Pas
possible, elle t’a ensorcelé. Nous allons rester
bloqués… et perdre le livre !
— Je
le leur donnerai en échange, s’il le faut.
— Alors
pourquoi diable est-on venus ici ? »
Elle
apparut soudain au tournant du sentier, rasant la roche pour
augmenter ses chances de passer inaperçue, les cheveux dans
les yeux, très pâle, hors d’haleine d’avoir
tant couru. Je me précipitai vers elle.
« Qu’est-ce
qui t’a retenue si longtemps ?
— Ils
étaient tellement excités qu’ils ne pouvaient pas
dormir. Je m’étais couchée la première et
j’ai attendu toute la nuit qu’ils se calment. Et puis il
a fallu que je rampe sur près de cent mètres, à
la barbe d’un des gardes. »
Sa
robe était effectivement très sale.
« Je
crois qu’ils ont déjà découvert mon
départ.
— Tu
peux encore courir ?
— Si
tu n’as pas le livre, je n’en aurai pas la force. »
Ses
yeux m’interrogeaient sans qu’elle trouvât le
courage de me poser la question.
« Je
l’ai. »
Sa
main se referma sur mon bras, comme celle d’un enfant qui
espère un cadeau. Elle rêvait du livre depuis plus
longtemps que moi. Je lui montrai le cylindre, dont la vision lui
coupa le souffle.
« Sens
un peu son poids. »
Ses
doigts l’explorèrent à l’aveuglette.
« Il
est vraiment dans cet étui ?
— Oui.
Mais je suis incapable de le lire.
— Pour
l’amour d’Allah, effendi, il faut partir. »
Sans
regarder Mohammed, j’ouvris l’étui, en tirai le
rouleau et le déroulai pour en montrer l’écriture
à Astiza. L’étrangeté de cette écriture
me frappa de nouveau. Elle contemplait avidement le texte
incompréhensible, s’efforçant d’en percer
le sens ou simplement désireuse de le garder un peu plus
longtemps dans ses mains.
« Où
était-il ?
— Dans
le cercueil d’un Templier. J’ai repensé aux
indices dont on disposait, ainsi qu’aux paroles de
mathématiciens que j’ai
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