Hiéroglyphes
direction d’où
nous étions venus. Quelques coups de feu retentirent encore
alors que nous étions déjà hors de portée.
Avant
de reprendre la route du haut plateau, on se retourna brièvement.
Silano et sa suite étaient sortis du canyon et couraient comme
des dératés, en rase campagne. À pied. On ne
pourrait pas tenir toutes ces brides sur une longue distance, alors
on les lâcha purement et simplement Silano et les autres
n’étaient pas près de les rattraper.
Épuisés,
les yeux toujours pleins de larmes, on prit la direction d’Acre.
*
* *
À
la tombée de la nuit, on atteignit les ruines du château
bâti par les croisés où nous avions campé
à l’aller. Sans doute n’aurions-nous pas dû
nous arrêter si tôt, mais, ayant perdu une nuit de
sommeil à dénicher le livre et retraverser le canyon,
Mohammed et moi dormions en selle. Astiza résistait un peu
mieux. Jouant sur la probabilité que Silano ne récupérerait
pas de sitôt les chevaux dispersés, nous fîmes une
halte dans les ruines couvertes d’or par le soleil couchant. On
se partagea le pain dur et les dattes retrouvées dans les
fontes des selles. Pas question d’allumer un feu…
« Dormez
les premiers, dit Mohammed. Je vais monter la garde. Même si
les Français et les Arabes sont à pied, les bandits ne
manquent pas dans le voisinage.
— Tu
es aussi épuisé que nous, Mohammed.
— C’est
pourquoi il faudra me relever dans quelques heures. Il y a de l’herbe
épaisse, dans ce coin, et les pierres sont encore chaudes du
soleil de la journée. Je serai dans la tour écroulée. »
Il
disparut, guide et gardien plus que jamais.
« Tout
ça pour nous laisser seuls, déduisit Astiza.
— Naturellement.
— Viens.
Je suis gelée. »
L’herbe
épaisse offrait un certain confort, à cette époque
de l’année. Un lézard rentra dans son trou alors
que les ombres s’épaississaient. Notre première
occasion de solitude à deux, depuis qu’elle m’avait
giflé en présence de Silano. Astiza se pelotonna dans
mes bras, à la recherche de ma chaleur. Elle tremblait
convulsivement, les joues couvertes de larmes.
« Pourquoi
est-ce toujours si difficile ?
— Ned
était un sacré bonhomme. C’est moi qui l’ai
conduit à sa perte.
— C’est
Najac, pas toi, qui a fait venir ce lion ! »
Mais
c’était bien moi qui avais fait venir Ned. Et Astiza qui
portait la bague. Je m’en souvins brusquement, et la sortis de
son petit sac.
« Tu
l’avais gardée, même en la croyant maudite.
— C’était
tout ce qui me restait de toi, Ethan. J’avais l’intention
de te la rendre.
— Les
dieux ont-ils un but, pour nous avoir aidés à la
trouver ?
— Je
ne sais pas. Je ne sais pas… »
Elle
se pressait encore plus fort contre moi.
« Ou
bien avons-nous eu simplement de la chance ? ajoutai-je. Après
tout, on a le livre. Et on est de nouveau ensemble.
— De
la chance ? Pourchassés, incapables de le déchiffrer,
un compagnon mort… »
Astiza
tendit la main.
« Donne-moi
cette bague. »
Elle
la jeta dans les ruines de ce qui avait été la cour
intérieure du château. Je l’entendis rebondir
parmi les pierres. Un rubis assez gros pour rapporter une fortune.
Mais porteur d’une malédiction ? Peut-être…
Elle ajouta :
« Le
livre, c’est assez. Rien de plus, rien de plus… »
Et
puis elle m’embrassa, les prunelles en feu. Je ressentis comme
une décharge électrique.
Un
jour, sans doute, on retrouverait un vrai lit mais, pas plus qu’en
Égypte, on n’avait le choix du lieu et des
circonstances. Ce fut une étreinte insensée, à
tâtons, dans des vêtements écartés tant
bien que mal, conséquence d’un désir réciproque
de corps qui recherchaient moins son accomplissement frénétique
que la revanche de l’amour sur ce monde glacé, perfide
et sans âme. Un accouplement animal qui nous annihila sans nous
satisfaire. Finalement, Astiza eut une sorte de râle, puis on
sombra tous les deux dans une inconscience presque immédiate,
avec notre linge emmêlé ramené sur nous comme une
coquille protectrice.
Je
m’étais juré de relever Mohammed, comme promis,
mais c’est lui qui me réveilla, à l’aube.
« Mohammed.
Je suis désolé. »
Nous
nous rhabillâmes, tout décorum banni par les
circonstances exceptionnelles.
« Pas
de quoi, effendi. Je me suis endormi peu de temps après vous
avoir quittés. Je viens de faire un petit tour
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