Hiéroglyphes

comme une saucisse coupée en deux dans le sens de la
longueur. Et quand je séparai les deux moitiés, l’une
d’elles contenait ce que je m’étais attendu à
y découvrir : un rouleau de parchemin.
    Je
le déroulai, d’une main tremblante d’excitation.
Je n’avais jamais vu de parchemin ou de papyrus de cette sorte.
Plus résistant et bizarrement luisant. Un matériau qui
n’était ni papier, ni cuir, ni métal. L’écriture
était encore plus étrange. Au lieu des lettres
manuscrites ou même de hiéroglyphes comme j’en
avais vu en Égypte, elle était plus abstraite,
anguleuse et vaguement géométrique, une suite de
pleins, de déliés, de boucles et de caractères
inextricables. Si je pouvais en croire la manière dont je
venais de m’en emparer, j’avais découvert le
secret de la vie de l’Univers ou de l’immortalité.
Et j’étais incapable d’en déchiffrer la
moindre bribe.
    Quelque
part, Thot devait rire comme un simple mortel.
    Bon,
j’en avais déchiffré d’autres, et même
si le rouleau ne pouvait être lu, rien que l’étui
faisait de moi un homme riche.
    À
condition de sortir de ce trou à rats.
    J’y
réfléchis longuement. Remonter le courant ne me
paraissait guère possible et même si j’y
parvenais, ni mes deux compagnons ni moi ne pourrions remonter par où
nous étions descendus.
    Comment
emprunter, d’autre part le reste du ruisseau, au risque de me
trouver projeté dans quelque dérivation où je
mourrais asphyxié, comme j’avais failli l’être,
de justesse, sous la Grande Pyramide ? Que ferait Ben Franklin
dans une situation semblable ?
    J’en
avais assez, de ses aphorismes que j’entendais pratiquement
chaque jour, mais, là, combien aurais-je voulu l’avoir à
mon côté ! « Les sages n’ont pas
besoin de conseils. Les imbéciles n’en suivent aucun. »
Aussi intelligent que paradoxal, mais sans utilité pratique en
l’occurrence. « Énergie et constance viennent
à bout de toutes les difficultés. »
Constance ? Pour percer une nouvelle issue, comme un mineur ?
J’inspectai le local plus attentivement. Les silhouettes des
Templiers sculptées dans la roche ne pouvaient m’être
d’aucun secours, et les murs de la caverne ne portaient aucune
indication, ne comportaient aucune porte, aucune fente, aucun trou,
dans lesquels glisser le cylindre d’or avec l’espoir de
déclencher quelque nouveau mécanisme. Je sondai la
paroi du puits, sans découvrir le moindre creux. Je criai sans
susciter le plus petit écho. Cognai dans tous les murs sans
provoquer l’apparition de quelque compartiment secret. Comment
diable les Templiers avaient-ils pu entrer et sortir de cette tombe ?
Le ruisseau lui-même ne devait pas exister, en dehors des
fortes tempêtes. Attendre la suivante ? Dans quel espoir ?
« Ne pas confondre action et agitation »,
disait aussi Ben Franklin.
    Que
disait-il encore ? « Bien faire vaut mieux que bien
parler. » Pas très applicable, non plus, dans ma
situation actuelle. « Chacun espère vivre vieux,
mais n’aime pas vieillir. » Pour l’heure,
vieillir me semblait bien préférable à mourir.
« Dans les fleuves comme sous les mauvais gouvernements,
les choses les plus légères montent à la
surface. » Au moins, cet aphorisme-là contenait le
mot « fleuve ».
    Nager
jusque là-haut ?
    Je
levai les yeux. Si la lumière en descendait, de là-haut,
il devait exister un moyen d’y monter, mais pas sans échelle,
pas sans corde et sans aucune prise pour les mains, sans aucun point
d’appui pour les pieds. Si seulement j’avais eu un des
ballons-sondes de Conté… nager
jusque là-haut ?
    Ce
que Ben préconisait, mais que peu d’hommes font, c’était
« réfléchir d’abord, agir ensuite ».
Était-ce si difficile ? J’avais l’ombre d’une
idée, plutôt désespérée puisque
sans possibilité plausible d’application. Mais avais-je
le choix ?
    J’empoignai
le couvercle de pierre du sarcophage, le traînai, au prix
d’efforts titanesques, jusqu’à l’endroit
d’où s’écoulait la rivière. Je
parvins à le dresser sur une de ses extrémités,
de manière à barrer la rivière, à
l’endroit où elle disparaissait à ma vue. Dans un
dernier effort, je parvins à le pousser dans l’eau,
devant le trou noir qui l’engloutit comme une bouche vorace. La
force du courant le plaqua contre l’embouchure du tunnel,
scellant l’orifice de sortie du ruisseau