Hiéroglyphes
qui vais te donner une leçon que
tu ne seras pas prêt d’oublier.
— Tonnerre
de Dieu ! je te rencontre où tu veux, quand tu veux, au
pistolet, à l’épée, à l’épissoir,
au gourdin, au canon…
— J’ai
dit à l’épée.
— Alors,
remonte-moi, que je puisse te fendre en deux, un de ces jours ! »
Je
lui lançai une corde à laquelle il attacha l’échelle,
et le ramenai dans la tour avant que l’approche de l’aube
puisse faire de lui une cible.
Alors
qu’il époussetait son uniforme souillé de terre
et de mortier, je lui fis remarquer que j’avais fait preuve de
plus de considération à son égard qu’il ne
m’en avait témoigné cette nuit-là.
Sa
réponse fut :
« Croisons
le fer tout de suite et finissons-en avec notre histoire. Je ne te
laisserais pas t’en tirer avec un remboursement, même si
tu m’offrais dix fois la mise !
— Pas
maintenant, tu es trop fatigué. La nuit prochaine dans les
jardins du palais. Rapière ou sabre d’abordage ?
— Sabre,
nom de Dieu ! Quelque chose qui ne s’arrête pas à
l’os ! Et je leur dirai à tous de te laisser
crever ! »
Il
fusilla du regard les autres membres de l’équipe que
notre échange d’aménités semblait amuser
ferme.
« Personne
ne se fout de la gueule de Gros Ned ! »
*
* *
Ma
volonté de me battre en duel avec ce monstre provenait de mon
habitude, aux cartes, d’anticiper la donne. Franklin
m’inspirait toujours et, pendant que j’aidais Jéricho
à sa nouvelle forge, je me demandai comment le sage de
Philadelphie aurait substitué l’ingéniosité
à la force brutale. Et puis je me mis au travail.
Le
sabotage du sabre de Ned fut très simple. J’ôtai
le revêtement de bois et d’étoffe de sa poignée,
lui substituai un revêtement de cuivre que je dépolis
méthodiquement pour que mon adversaire puisse l’avoir
fermement en main. Le cuivre est un excellent conducteur.
Truquer
le mien fut un peu plus compliqué. J’en creusai la
poignée, la garnis de plomb, doublai, pour une meilleure
isolation, l’épaisseur de sa garniture et, juste avant
l’heure du rendez-vous avec mon adversaire, en tins l’extrémité
contre un gros fil de fer menant à la machine que j’avais
construite pour engendrer une charge de friction. Je tournais encore
la manivelle quand Ned apparut dans la cour.
« Qu’est-ce
que tu mijotes encore, bricoleur yankee ?
— Simple
magie.
— Hé,
je veux un combat loyal !
— Et
tu vas l’avoir, fer contre fer, et tes muscles contre mon
cerveau. Quoi de plus loyal ?
— Ethan,
intervint Jéricho selon nos conventions, c’est de la
folie. Il va te couper en deux comme une bûche ! Tu n’as
pas une chance contre Gros Ned.
— L’honneur
exige qu’on croise le fer, quelles que soient la force et la
taille. »
Je
suppose que ce n’est pas très loyal de mystifier un
taureau, mais quel toréador n’agite-t-il pas devant lui
sa muleta ?
Les
marins assemblés parièrent tous contre moi. Je soutins
leurs paris, grâce au prêt que m’avait consenti le
forgeron. Autant tirer profit de tout ce remue-ménage. Sur le
sentier du jardin où nous allions nous battre, je marquai une
petite pause, dans la posture du duelliste. L’idée que
les filles du harem allaient sans doute nous regarder, de là-haut,
me plaisait assez, et je savais que Djezzar, tout au moins, serait
spectateur.
« En
garde, grosse brute ! Si je perds, je te donnerai tout ce que
j’ai, mais si je gagne, je te plumerai jusqu’au dernier
shilling !
— Si
tu perds, je me rembourserai avec les biftecks et les côtelettes
prélevés sur ta carcasse ! »
L’assistance
rugit d’allégresse à l’audition de son
trait d’esprit et le sourire de Ned s’élargit
jusqu’à ses oreilles.
Puis
il attaqua. Et je parai.
J’aimerais
pouvoir raconter comment j’annihilai sa force brutale par ma
propre habileté d’escrimeur, mais, lorsque nos lames se
heurtèrent, jaillit du contact une gerbe d’étincelles
en même temps que claquait une détonation sèche
comme un coup de fouet qui fit sursauter tous les témoins. Nos
armes n’avaient fait que se toucher et, pourtant, Ned partit
violemment en arrière, comme sous le choc des sabots d’une
mule. Arraché à sa poigne, son sabre manqua de peu l’un
de ses compagnons de bord. Violemment projeté à la
renverse, tel Goliath par la fronde de David, il s’immobilisa,
les yeux révulsés. Mon propre sabre me
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