Hiéroglyphes
picotait la
paume, mais j’avais été bien isolé contre
toute conséquence fâcheuse. L’air sentait le
brûlé.
Était-il
mort ?
Je
le piquai de la pointe de ma lame. Il tressauta comme la grenouille
de Galvani.
La
foule, impressionnée, se taisait.
Finalement,
Ned tressaillit, cligna des yeux, m’aperçut et s’écria :
« Ne
me touche pas !
— À
l’avenir, évite de t’en prendre à meilleur
que toi, Ned.
— Bon
sang, comment que t’as fait ça ?
— Je
te l’ai dit. Simple magie. »
Je
pointai mon sabre vers les autres.
« J’ai
gagné loyalement aux cartes, et je viens de gagner ce duel.
Pas d’autre amateur ? »
Ils
se dispersèrent comme si j’avais la lèpre. Un
maître d’équipage me lança le sac des
paris. Dieu bénisse les instincts parieurs des marins
britanniques !
Ned
se redressa, encore à moitié sonné.
« Personne
n’a jamais pris le dessus sur moi. Pas même mon père
après mes huit, neuf ans, parce que j’étais déjà
assez costaud pour le tenir à bout de bras.
— Tu
me respecteras désormais ? »
Il
secoua la tête afin de l’éclaircir.
« Tu
as d’étranges pouvoirs, cap’taine. Je m’en
suis rendu compte. Tu survis toujours, d’un côté
comme de l’autre.
— Je
me sers simplement de mon cerceau, Ned. Si tu veux bien me suivre, je
t’apprendrai à le faire.
— Ça
va, je marche avec toi. Plus de bagarres entre nous. »
Laborieusement,
il se releva, les jambes molles. Je savais ce qu’il ressentait.
Un bourdonnement dans les oreilles. On ne se remet pas si vite d’une
décharge électrique.
« Ecoutez-moi,
cracha-t-il d’une voix éraillée à
l’adresse des autres. Plus personne contrarie le Yankee,
d’accord ? Le prochain qui le cherche, il aura affaire à
moi. On est partenaires, voilà ce qu’on est. »
Il
m’accorda une accolade, comme un singe géant.
« Ne
touche plus au sabre, bonhomme !
— Oh,
oui ! »
Il
s’en écarta comme d’un serpent sur le point de
mordre.
« J’ai
besoin de toi pour un autre tour de magie. Il me faut quelqu’un
qui puisse tourner une manivelle comme le diable en personne. Tu
pourras faire ça, Ned ?
— Si
tu me touches pas.
— On
est quittes, mon frère. Maintenant, on peut être
copains. »
*
* *
Il y
eut une espèce de temps mort alors que les Français
progressaient comme des fourmis vers les murs d’Acre et
mettaient quelques canons en place. Ils creusaient nuit et jour et on
les attendait, avec ce fatalisme paresseux qui ronge les assiégés.
C’était la semaine sainte et, dans un esprit de
vacances, Smith et Bonaparte acceptèrent d’échanger
quelques prisonniers faits au cours de raids ou d’escarmouches
sans grandes conséquences. Djezzar tournait en rond et
maudissait cordialement toutes les catégories d’infidèles,
chrétiens en tête. Puis il s’asseyait dans sa tour
et scrutait le paysage avec une fureur destinée à
motiver ses hommes. Je travaillais à mon projet électrique,
mais il était difficile d’y faire participer Jéricho
car le Boucher, Smith et Phélippeaux l’accablaient de
commandes moins scientifiques de matériel militaire. En combat
corps à corps, sur les remparts, avec peu de temps pour
recharger, les armes blanches seraient aussi importantes que les
armes à feu.
La
tension augmentait. Les traits autrefois sereins du forgeron se
crispaient en permanence, et les cernes s’agrandissaient, sous
ses yeux. Les canons français tiraient nuit et jour, il
dormait peu et mes relations de plus en plus étroites avec
Miriam l’inquiétaient. Mais c’était le
genre d’homme qui ne refusait aucun travail ni ne supportait la
moindre baisse dans sa qualité. Il persistait à
travailler quand on s’écroulait à bout de
fatigue, sa sœur et moi, dans deux coins opposés de
l’armurerie.
C’est
lui qui nous réveilla, à l’aube du 28 mars, alors
que le rythme de la canonnade française s’accélérait,
signalant une attaque imminente. Même au sous-sol du palais de
Djezzar, l’avalanche de boulets ébranlait les poutres et
soulevait la poussière tandis que jaillissaient les étincelles
de la forge.
« Les
Français testent nos défenses. Garde ta sœur ici,
Jéricho. Vous avez trop de valeur, tous les deux, en tant que
métallurgistes, pour servir de cibles.
— Et
toi ?
— Je
ne suis pas encore prêt, mais j’ai hâte de voir mes
chaînes à l’ouvrage. »
Il
était quatre heures du
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