Hiéroglyphes

un galop.
    « Et
dans quel état ?
    —  Je
ne l’ai pas revue. J’ai eu seulement de ses nouvelles.
Elle est restée dans le coma pendant tout un mois, sous la
protection des hommes de Silano. Mais elle s’est remise plus
vite que lui. Il aurait
touché l’eau le premier, avec elle juste derrière,
c’est donc lui qui aurait crevé la surface. D’où
sa hanche brisée. Il boitera
jusqu’à la fin de ses jours. »
    Mon
pouls battait comme un tambour jusque dans mes oreilles. Savoir
enfin ! Tout savoir !
    « Maintenant,
c’est elle qui le soigne. »
    L’effet
d’une gifle.
    « Vous
plaisantez, Monge !
    —  Qui
s’occupe de lui, si vous préférez. Elle n’a
jamais renoncé à ces recherches particulières
que vous aviez entreprises avec elle. Tous étaient furieux
d’apprendre ce qu’on vous avait fait subir à
Jaffa. L’œuvre de ce bouffon de Najac ! J’ignore
pourquoi Napoléon ne m’a pas écouté, et
rien que cette idée qu’on ait pu vous exécuter… »
    Il
haussa les épaules et poursuivit :
    « Vous
savez quelque chose dont ils ont besoin. Quand le bruit a couru que
vous aviez pu vous en tirer, elle a envoyé la bague. Puis on a
vu votre trucage électrique. Les anges faisaient partie de mes
instructions. Vous savez ce qu’ils signifient ? »
    Une
fois de plus, je sentais le contact des séraphins sur ma peau.
    « Peut-être.
Il faut que je la voie.
    —  Elle
n’est pas ici. Elle et le comte sont au mont Nébo.
    —  Au
mont quoi ?
    —  Nébo.
À l’est de Jérusalem. L’endroit d’où
Moïse a aperçu la Terre promise, mais il est mort avant
de pouvoir y pénétrer. Pourquoi Moïse semble-t-il
vous intéresser autant, Gage ? »
    Il
ne me quittait pas des yeux, attentif à ma moindre réaction.
Ainsi, ni lui ni probablement Bonaparte ne savaient tout.
    « Quel
jeu jouent Astiza et Silano, d’après vous ?
    —  Aucune
idée. »
    Plutôt
mentir que développer ce point essentiel.
    « Et
que savez-vous de ces anges qu’ils semblent tout aussi
impatients de retrouver que vous paraissez l’être ?
    —  Rien
de plus. »
    Et,
là, ce n’était qu’un demi-mensonge.
    « Vous
êtes venu seul ?
    —  Des
amis m’attendent en lieu sûr.
    —  Aucun
lieu n’est réellement sûr en Palestine. C’est
le secteur le plus pestilentiel de la planète. Silano a conçu
des chariots élaborés pour transporter de l’artillerie
lourde depuis l’Égypte… compte tenu du fait que
la perfide Albion a capturé nos canons en mer depuis l’Égypte.
Mais que d’escarmouches en perspective avant d’arriver
ici ! Ces peuples ne savent jamais quand ils sont battus. »
    Si
Napoléon attendait vraiment des canons de plus fort calibre,
le sort d’Acre était en train de se jouer.
    « Qu’est-ce
qui se trame sur le mont Nébo ?
    —  Si
vous faites confiance à vos collègues scientifiques,
Gage, vous pouvez repenser votre avenir à la lumière de
la raison. Faites-en toujours à votre tête et vos ennuis
vont se multiplier. C’est comme votre controverse au sujet du
nombre de Pascal sur votre médaillon. Vous êtes-vous
finalement débarrassé de ce colifichet absurde ?
    —  Oh
oui ! »
    Monge
avait toujours été persuadé que mon médaillon
égyptien antique n’était rien de plus qu’une
contrefaçon moderne. Hors de portée de ses oreilles,
Astiza l’avait qualifié d’imbécile. Il
n’était rien de tel, mais obnubilé par les
certitudes qui viennent avec trop d’études. La
corrélation entre études et sens commun n’est pas
toujours évidente.
    « Ma
confiance n’entre pas en jeu. Je faisais simplement des
expériences d’électricité quand vous
m’avez envoyé cette bague par-dessus le mur.
    —  Des
expériences qui ont coûté la vie à pas mal
de mes hommes ! »
    La
voix me cloua sur place. Celle d’un Bonaparte surgi des ombres
de la tente. Ce type était toujours partout où on ne
l’attendait pas. Lui arrivait-il de dormir ? Il avait
mauvaise mine et semblait très nerveux, le regard plus froid,
plus incisif que jamais, ce regard qui impressionnait tant de gens, à
travers le monde. Son talent pour paraître plus grand qu’il
n’était m’avait toujours frappé, ainsi que
toute cette énergie charismatique qui se dégageait de
sa personne.
    « Monge
est dans le vrai, Gage. Votre place est du côté de la
raison et de la science. C’est-à-dire de la
révolution. »
    Je
me remémorai que nous étions