Hiéroglyphes

son châtiment pour n’avoir
pas su vous apprécier plus tôt. D’accord, Pierre ?
    —  Je
vais le conduire auprès de Silano. »
    Comment
aurais-je pu oublier les tortures et les punitions subies ?
    « Ce
tortionnaire n’est rien de plus qu’un voleur et un
criminel. Je n’ai nul besoin de son escorte.
    —  Moi
si, trancha Napoléon. Je suis las de vos escapades en tous
sens. Vous partirez avec Najac ou vous ne partirez pas du tout. C’est
votre sauf-conduit pour retrouver la femme. »
    Najac
cracha par terre.
    « Ne
vous en faites pas. Après que vous aurez trouvé ce que
vous cherchez, vous aurez l’occasion de me tuer. À moins
que je ne vous tue avant.
    —  Pas
avec mon rifle ! »
    Je
désignais l’arme accrochée à son épaule.
    « Votre
rifle ! releva Napoléon, étonné.
    —  C’est
moi qui l’ai fabriqué en partie, à Jérusalem.
Ce bandit me l’a volé.
    —  Je
vous l’ai confisqué. Vous étiez prisonnier.
    —  Et
redevenu votre allié, que je le veuille ou non. Vous allez me
le rendre.
    —  Que
je sois pendu si…
    —  Ne
tentez pas le diable. Si vous prétendez le garder, je ne
marche pas. »
    Bonaparte
semblait s’amuser ferme.
    « Oh
si, vous marcherez, Gage ! Pour les beaux yeux de la femme et
parce que résoudre ce mystère est aussi important pour
vous qu’une bonne partie de cartes ! Najac vous a capturé,
votre arme lui revient. C’est une prise de guerre.
    —  Même
pas fiable ! affirma Najac. Il tire comme un lance-pierres !
    —  La
précision d’une arme dépend du tireur, Najac.
Qu’est-ce que vous pensez de son viseur télescopique ?
    —  Un
accessoire ridicule. Je l’ai démonté.
    —  C’était
un cadeau. Si je dois chercher un trésor, j’aurai besoin
de ma longue-vue. »
    J’étais
à peu près certain qu’il l’avait gardée
sur lui.
    « Logique !
estima Bonaparte. Rendez-la-lui. »
    A contrecœur,
Najac s’exécuta.
    « Et
aussi mon tomahawk. »
    Encore
plus sûr de le trouver en sa possession ! Il protesta :
    « C’est
une arme dangereuse, entre les mains de l’Américain.
    —  Ce
n’est pas une arme, c’est un outil.
    —  Rendez-le-lui
également, Najac. Si vous ne vous sentez pas capable de faire
marcher un Américain armé d’une hachette avec une
douzaine d’hommes sous vos ordres, je ferais peut-être
bien de vous rétrograder ! »
    Non
sans une sale grimace, la fripouille sortit brièvement et
revint porteur de mon bien, que je soupesai avec un plaisir
ostensible.
    « C’est
un accessoire de sauvage, indigne d’un savant. Vous aurez l’air
d’un cul-terreux, avec ça au poing.
    —  Et
vous du voleur que vous êtes, avec mon fusil à la main.
    —  Dès
qu’on aura éclairci vos putains de secrets, Gage, on
réglera ça face à face.
    —  Plutôt
deux fois qu’une ! »
    Mon
rifle portait déjà de nombreuses marques, Najac n’était
pas plus soigneux avec un fusil qu’avec ses vêtements
sales et déchirés, mais il me tardait de récupérer
mon arme toujours aussi séduisante, à mes yeux, qu’une
belle jambe féminine.
    « Rendez-moi
service, Najac. Escortez-moi à distance, que je n’aie
pas à respirer votre odeur.
    —  À
portée de mousquet, je vous le promets.
    —  Les
alliances ne sont jamais faciles, s’esclaffa Bonaparte. Mais
Najac a le fusil et Gage le télescope. Vous n’aurez qu’à
viser ensemble. »
    Sa
plaisanterie de mauvais goût m’avait tellement irrité
que je ne résistai pas à l’envie de lui rendre la
pareille. Je désignai les malades :
    « Je
suppose que je vais devoir faire très vite ?
    —  Parce
que ?
    —  À
cause de la peste. Vos troupes ne commencent pas à
paniquer ? »
    Mais
impossible de le désarçonner.
    « Ils
y puisent, eux aussi, la volonté d’aller vite. Vous avez
raison, Gage, ne tramez pas en route. Mais ne vous inquiétez
pas non plus pour le moral de mes troupes. De grandes choses sont en
jeu. Vous n’allez pas travailler pour la Syrie, mais pour
l’Europe. Et la France m’attend. »

16
    J ’avais
pensé qu’on piquerait droit sur le mont Nébo,
mais, quand je posai la question, Najac s’étrangla de
rigolade.
    « En
coupant à travers une bonne moitié de l’armée
ottomane ? »
    Depuis
que Napoléon avait envahi la Palestine, la Sublime Porte de
Constantinople avait mobilisé un nombre croissant de soldats
pour barrer la route à ce Français trop présomptueux.
La Galilée, m’informa Najac,