Histoire De France 1715-1723 Volume 17
de les montrer de si près l'une à l'autre.
L'infante avait été reçue ici avec une pompe, des solennités incroyables. Partout des arcs de triomphe. Une dépense excessive, insensée, dans notre épuisement. On y mit des millions. On écrasa Paris. Elle fut établie, comme reine, au Vieux-Louvre; puis, comme on a vu, à Versailles. Nos belles dames, qui, dans ses bosquets, avaient naguère favorisé le Turc, saisies de ferveur espagnole, entourent l'infante et la suivent aux églises, s'enrôlent avec elle dans la confrériedu Rosaire, reçoivent de la main d'un moine l'insigne de la Rose mystique, l'emblème de la virginité.
Notre Française n'eut pas cet aimable accueil à Madrid. Elle était haïe avant de venir. Elle trouva la reine entourée de tous les ennemis de son père. La jolie petite fille de treize ans, la fleur pas même épanouie, allait terriblement faner, enlaidir par contraste une reine avariée, qui pourtant ne régnait que comme femme et par le plaisir. Le seul portrait de cette enfant avait fait ravage à Madrid. Le jeune mari, tout pareil à son père de tempérament, tournait de ce côté l'emportement sauvage qu'il n'avait jusqu'alors déployé qu'à la chasse. Il séchait devant ce portrait. Il fallut le cacher.
L'original devait avoir le sort de toutes nos princesses qu'on maria en Espagne, toutes brisées cruellement. On essayait de la terreur d'abord. La première fête était le bûcher, l'horreur, les cris, et le premier parfum la chair grillée! Puis la pesante obsession des grandes duègnes titrées, leurs rapports de police, leur odieuse interprétation de la vivacité française. L'enfant (eût-elle été plus sage) ne pouvait guère manquer d'être stupéfiée, perdait la langue, même l'esprit.
L'Italienne, dans son génie bouffe, mieux que n'eût fait une Espagnole, arrangea une scène pour la faire paraître idiote. Saint-Simon allait prendre son audience de congé. La jeune princesse était sous un dais. Dans ces occasions publiques, ordinairement tout est prévu, on parle pour l'enfant ou on lui fait lire quelquechose. La Farnèse eut la barbarie de la laisser à elle-même. La petite, entourée de tant d'yeux malveillants, dut être intimidée. Au lieu de couvrir ce silence, de lui donner du temps pour se remettre, de parler un peu à sa place, Saint-Simon eut la sotte fierté de se blesser, et par trois fois articula la question de ce qu'elle voulait faire dire à Paris. Mais rien. Elle est muette. Et bien pis! elle n'est pas muette tout à fait. Elle venait de déjeuner sans doute; un petit bruit involontaire échappe de sa belle bouche. Les Espagnols ne voulaient pas entendre. Sans pitié, sans pudeur, l'Italienne entendit, donna le signal des risées.
Elle croyait en dégoûter le prince. À tort. Ces petites misères de nature ne font guère à l'amour. Témoin, ce qu'on a vu de Louis XIII et de mademoiselle la Fayette; l'humiliant accident pour lequel Anne d'Autriche fut si cruelle, ne le fit que plus amoureux. La Farnèse dut prendre aussi d'autres moyens. Elle exploita l'étourderie de la Française. Sa légèreté à courir dans un parc, les jupes au vent, fut donnée au mari pour un crime d'horrible indécence. On lui dit que, dans l'intérieur, elle voulait danser toute nue entre les dames et les seigneurs. On lui brouilla l'esprit, si bien qu'il consentait à l'enterrer dans un couvent. Mais elle eut la petite vérole. On espéra qu'elle mourrait. Cette cour, qui avait été lâche en la prenant, devint féroce alors, et on fit le mieux qu'on put pour qu'elle n'en réchappât pas. Dieu eut pitié de la pauvre petite. Elle vécut. Mais un objet d'horreur, et pour brouiller les deux pays. Beau résultat de cette grande et subtile diplomatie! Dubois fut si furieux de voirécrouler tout cela, que son très-cher ami, le bon Père Daubenton (si nécessaire à l'alliance) ayant ici son frère, Dubois le pila, le chassa à grands coups de pied de chez lui.
L'amitié, plus solide et si forte, de l'Angleterre, le soutenait ici, pouvait le rassurer. Il eut pourtant l'idée d'une machine assez ridicule, fort peu utile, contre ses concurrents. Il avait institué des conférences où, devant le Régent, on lisait au petit roi des leçons pédantesques sur l'art de gouverner. À travers cet enseignement, gauchement et hors de propos, trois jours durant, le Régent lut un plaidoyer où il reprenait, ressassait la vie de Villeroi, y mêlant les parlementaires, le duc de
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