Histoire de France
armée solides. Son fils Frédéric II, qui venait de lui succéder, avait donné le change sur ses ambitions par une jeunesse orageuse, l’étalage de ses goûts pour notre littérature et le soin qu’il avait pris de conquérir une véritable popularité parmi les Français en protégeant et en flattant nos écrivains et le plus célèbre de tous, Voltaire. Frédéric II passait pour un prince éclairé, ami du progrès et des idées qu’on appelait nouvelles et dont la vogue continuait à se répandre. Son coup de force, qui aurait dû soulever l’indignation, fut accueilli au contraire par des applaudissements parce qu’il était dirigé contre l’Autriche, toujours considérée comme l’ennemie traditionnelle de la France.
À ce même moment, Fleury, malgré sa prudence, se voyait obligé d’intervenir dans la guerre anglo-espagnole dont le développement menaçait nos intérêts maritimes de la manière la plus grave. Belle-Isle et les antiautrichiens lièrent habilement les deux affaires. Ils diront que l’Autriche était l’alliée des Anglais, que l’heure de la détruire était venue et qu’en la frappant on frapperait l’Angleterre. Ce raisonnement omettait deux choses : la mer et la Prusse. Mais Frédéric II passait pour un de ces princes allemands qui avaient été jadis, comme le Bavarois ou le Palatin, nos associés contre les Impériaux. De plus il était sympathique. Le courant devint si fort en faveur de l’alliance prussienne et de la guerre que Fleury, vieilli, fatigué, craignant, s’il résistait, de perdre le pouvoir comme Walpole l’avait craint, finit par céder. Louis XV céda lui-même. Il eut tort puisqu’il n’approuvait pas cette guerre et disait qu’il eût été préférable pour la France de « rester sur le mont Pagnotte », c’est-à-dire de regarder les autres se battre et de se réserver. Il voyait juste : par malheur pour nous, il n’imposa pas son avis. C’était peut-être de l’indolence, peut-être aussi le sentiment que la monarchie, diminuée depuis la Régence, n’était pas assez forte pour combattre l’entraînement général.
On entra ainsi, en 1741, dans une guerre continentale dont le premier effet fut de nous détourner de la guerre maritime où, de concert avec l’Espagne, nous pouvions porter à l’Angleterre des coups sensibles qui l’auraient peut-être arrêtée dans sa poursuite de l’hégémonie, car, à sa grande déception, ses escadres insuffisamment organisées avaient subi de mortifiants échecs. Mais, en France, tout était à l’entreprise d’Allemagne que Fleury, du moins, s’efforça de limiter, préoccupé surtout que l’Angleterre n’entrât pas dans ce nouveau conflit, l’expérience de la succession d’Espagne ayant appris ce que coûtait une guerre de coalitions à laquelle l’Angleterre était mêlée.
Cependant on s’indignait de la prudence de Fleury. Elle semblait sénile. Les Français eurent l’illusion, habilement entretenue par Frédéric, qu’ils étaient les maîtres de l’Europe. Pendant la première année de leur campagne, tout réussit au maréchal de Belle-Isle, qui conduisit ses troupes jusque sous les murs de Vienne, remonta en Bohême et s’empara de Prague par une escalade hardie. En janvier 1742, notre allié l’électeur de Bavière fut élu empereur à Francfort et ce fut en France un cri de triomphe : enfin la couronne impériale était enlevée à la maison d’Autriche ! On se réjouissait au moment où la fragilité de ces succès allait apparaître. Marie-Thérèse n’avait pas plié devant les revers. Elle avait pour elle les plus guerriers de ses sujets, les Hongrois. Elle savait qu’elle pouvait compter sur l’Angleterre. Elle avait déjà négocié avec Frédéric, compagnon peu sûr pour la France et qui ne songeait qu’à tirer son épingle du jeu en consolidant ses profits. Trois semaines après le couronnement du nouvel empereur, la Bavière fut envahie par les Autrichiens : elle n’était plus qu’un poids mort pour nous. En même temps, les Anglais se préparaient à intervenir activement en faveur de l’Autriche, et le roi de Prusse, peu soucieux d’encourir leur inimitié, se hâta d’accepter le marché que lui offrait Marie-Thérèse, c’est-à-dire presque toute la Silésie pour prix de sa défection.
En vain Fleury avait-il conseillé la paix, dès le mois de janvier, après l’élection de Francfort. Il comprit aussitôt la gravité de la
Weitere Kostenlose Bücher