Histoire de France
d’étendre les prérogatives du Parlement au détriment des prérogatives de la couronne. Elle voulait que les ministres fussent ses représentants auprès du roi au lieu d’être les représentants du roi auprès d’elle. Cette Chambre contre-révolutionnaire ne se comportait pas autrement que la Constituante. Elle ne consentait pas à n’être qu’un pouvoir auxiliaire de l’autorité royale, comme la Charte l’avait voulu. Elle visait à posséder le pouvoir. Chateaubriand, royaliste frondeur, publia une brochure retentissante, la Monarchie selon la Charte, pour réclamer le régime parlementaire complet, sans réserves, avec le droit de renverser les ministères et non plus seulement de les contrôler. Ces ultra-royalistes, devenus députés, étaient ultra-libéraux et ils ouvraient la porte aux revendications et aux agitations de la gauche. Nous retrouvons là un phénomène ancien, bien connu : le duc de Saint-Simon, s’il avait vécu cent ans plus tard, eût été de cette opposition.
On eut ainsi, en 1816, le spectacle étrange d’une Chambre d’extrême droite en conflit avec le roi. Il en coûtait à Louis XVIII de rompre avec elle, c’est-à-dire avec ce qu’il y avait de plus royaliste en France. Mais il était impossible d’admettre que la souveraineté se déplaçât. Le roi, en 1814, n’avait pas cédé au Sénat de l’Empire. Il avait fermement tenu au principe que la Charte était « octroyée » par lui. Si la Charte était révisée sur l’initiative des députés, quelle que fût leur opinion, ce que Louis XVIII avait obtenu disparaissait. En 1816, la Chambre s’obstinant à combattre le ministère Richelieu et à modifier la loi électorale, il prit le parti de la dissoudre plutôt que de reconnaître le règne des majorités. C’était la rupture entre la couronne et l’extrême droite. On entrait par là dans les luttes de partis. Aux élections, qui furent conduites par Decazes, l’homme de confiance du roi, le centre ministériel triompha avec l’appui des libéraux, trop heureux de l’occasion imprévue que leur avaient fournie les ultras. Mais la gauche, qui ne tardera pas à devenir ouvertement antidynastique, n’avait su aucun gré à Louis XVIII de sa politique d’union nationale et elle se détacha bientôt du centre sur lequel le gouvernement voulait s’appuyer : le régime représentatif annonçait des orages. Alors le gouvernement dut s’apercevoir qu’en se servant de la gauche pour battre la droite afin de suivre une politique moyenne, une politique modérée, de « juste milieu », il avait enhardi et fortifié le parti libéral, coalition de tous les adversaires de la dynastie. La gauche combattit tout de suite des ministres comme M. de Serre auxquels la droite reprochait de donner trop de gages au libéralisme, et, dans cette lutte, les républicains plus ou moins avoués et les bonapartistes s’alliaient parfois aux ultras. Cette agitation de tribune et de presse eut pour conséquence, en 1820, l’assassinat, par Louvel, du neveu de Louis XVIII, le duc de Berry. Ce fut la révélation d’un véritable danger révolutionnaire et le gouvernement fut conduit à se réconcilier avec la droite. À ce changement d’attitude, les libéraux répondirent par une nouvelle forme d’opposition, les Sociétés secrètes et la « Charbonnerie », l’émeute et les complots militaires où se laissaient entraîner de malheureux sous-officiers comme les quatre sergents de La Rochelle. Les éléments militaires, les anciens généraux de l’Empire pensaient à un nouveau Vendémiaire ou à un autre Fructidor. Le vieux La Fayette lui-même, revenu à ses ardeurs de 1788, rêvait d’un pronunciamiento à la manière espagnole : le coup d’État du 2 décembre se préparait dès ce moment-là. La mort de Napoléon, à Sainte-Hélène, en 1821, servit d’ailleurs à fondre encore plus intimement les républicains et les bonapartistes. L’empereur devint un personnage légendaire, dont le nom était synonyme de liberté, malgré le « despotisme impérial », et de grandeur, malgré Waterloo. Cinq ans après les désastres, la leçon commençait à être oubliée.
Quand on juge la Restauration à ses résultats, on trouve que les Français ont eu la paix et la prospérité et que ces bienfaits les ont laissés à peu près insensibles. La Restauration a été un régime honnête et sage, qui a mérité deux fois son nom, puisque la France, après
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