Histoire de France
Anglais, Napoléon continua d’agir sur les imaginations. Le héros devint un martyr. Sa cause se confondit avec celle de la Révolution, et la littérature, de la plus haute à la plus vulgaire, propagea ce mysticisme. Les traités de 1815 avaient laissé le peuple français meurtri de sa chute après un rêve rapide et prodigieux. Par une criante injustice, mais naturelle à l’homme, qui aime à rejeter sur autrui la responsabilité de ses fautes et de ses maux, ce ne fut ni à Napoléon ni à lui-même que le peuple français imputa les traités de 1815, mais aux Bourbons qui avaient mis tout leur effort à les atténuer.
Après l’effondrement de Waterloo, c’est encore Louis XVIII qui était revenu, parce que lui seul était possible. On avait parlé du duc d’Orléans et même du prince d’Orange. Un sentiment qui ne s’était pas vu en 1814 s’était développé par la complicité des bonapartistes et des libéraux pendant les Cent-Jours, par leur erreur et leur échec même : la haine des Bourbons de la branche aînée, une haine qui ne désarmera plus, parce qu’ils étaient comme un reproche vivant pour ceux qui s’étaient si gravement trompés. Cependant la réconciliation nationale était rendue encore plus difficile, parce que Napoléon avait ranimé les passions des temps révolutionnaires. Durant ces trois mois, les Jacobins, unis aux bonapartistes, avaient pris sur les royalistes une revanche qui détermina à son tour des représailles. Dans le Midi surtout, très antinapoléonien, il y eut de violentes émeutes populaires qui, à Avignon, coûtèrent la vie au maréchal Brune. Le gouvernement de Louis XVIII les réprima par la force, ce qui n’empêcha pas la « Terreur blanche » de devenir un nouveau grief de l’opposition libérale. Il était d’autre part nécessaire de rechercher et de punir les hommes qui s’étaient rendus responsables des nouvelles calamités de la France en se joignant à Napoléon au lieu de l’arrêter comme ils en avaient le devoir. Le procès et l’exécution de Ney furent une de ces « cruelles nécessités » qui s’imposent aux gouvernements, et l’entraînement sentimental auquel le maréchal avait cédé avait coûté trop cher pour ne pas vouloir un exemple. Cependant, Ney devint à son tour une victime et un martyr, comme si sa fatale faiblesse, le jour où il s’était jeté dans les bras de son empereur, n’avait pas été cause d’une nouvelle guerre, guerre absurde, sans espoir, où des Français n’avaient péri que pour ramener l’invasion et aggraver les exigences de l’ennemi.
La deuxième Restauration eut ainsi une tâche plus pénible que la première, parce qu’elle dut punir et sévir et parce qu’elle eut à compter avec, ses propres partisans. Le régime parlementaire ne faisait que de commencer en France. Ses débuts furent si singuliers qu’ils valent qu’on s’y arrête un instant.
L’Assemblée qui fut élue après celle des Cent-Jours était ardemment royaliste, si royaliste que Louis XVIII lui-même ne croyait pas qu’on pût en trouver une pareille (d’où lui resta le nom de Chambre introuvable), et qu’on appelait les membres de la majorité « les ultras ». Élue sous le coup de Waterloo et des malheurs publics, cette Chambre était réactionnaire, elle l’était passionnément, elle haïssait la Révolution aussi bien sous sa forme républicaine que sous sa forme napoléonnienne, et cependant elle n’en fut pas plus docile envers le gouvernement. C’est d’elle qu’on a dit qu’elle était plus royaliste que le roi, ce qu’il faut entendre en ce sens qu’elle voulut lui dicter sa politique. Louis XVIII pensait que la France avait besoin de ménagements et la Chambre tenait un langage qui pouvait alarmer beaucoup de personnes et beaucoup d’intérêts. Le gouvernement entendait rester juge des mesures à prendre pour punir les complots bonapartistes et en prévenir le retour. Il avait à reconstituer des finances ébranlées par deux invasions et dont le baron Louis, après 1814, avait préparé le rétablissement en fondant le crédit sur le respect des engagements pris par les régimes antérieurs. Il était particulièrement nécessaire de rassurer les possesseurs de biens nationaux. Une Chambre royaliste eût donc été sage de ne pas créer un surcroît d’embarras au pouvoir. C’est elle cependant qui, pour imposer ses vues, en un mot pour gouverner elle-même, s’efforça
Weitere Kostenlose Bücher