Histoire de France
« systématique ». Il venait alors une génération nouvelle qui n’avait pas vu la Révolution, à peine l’Empire, dont le souvenir se transfigurait et se poétisait avec, le recul des années. À cette génération ardente, pressée, ambitieuse, dont Thiers fut le représentant, il aurait fallu donner des satisfactions immédiates. Il aurait fallu au moins, pour lui enlever son argument le plus fort, l’argument « national », déchirer les traités de 1815, reprendre les frontières naturelles. C’était la politique que Chateaubriand recommandait, sans tenir compte des obstacles extérieurs, et, quand il n’était pas ministre, Chateaubriand ne craignait pas, comme à la Chambre introuvable, de prendre le rôle d’opposant. Cette politique, ce fut pourtant celle que Charles X tenta d’appliquer. Son échec suscita la Révolution de 1830.
Six mois avant la mort de Louis XVIII, la droite avait remporté un grand succès aux élections. Villèle, devenu premier ministre, était un homme sage, expérimenté, excellent administrateur, le véritable ministre du relèvement. L’opposition qu’il rencontra, non seulement à gauche, mais chez des royalistes d’extrême droite, comme Chateaubriand, fut une injustice criante, la manifestation d’un esprit de parti incurable. Villèle gouvernait avec une majorité de droite où il y avait des ultras souvent peu équilibrés. Certains allaient jusqu’à réclamer le rétablissement de ces Parlements de l’ancien régime qui avaient tant contribué à la Révolution. Chez les catholiques, quelques exaltés demandaient tout uniment une théocratie dont Lamennais, avant de rompre avec l’Église et de finir en démagogue, était le théoricien. De toutes les conceptions déraisonnables qui peuvent se former dans l’esprit des hommes, il en est peu qui n’aient paru dans ce temps qui fut celui du romantisme littéraire et politique, et il y avait autant de romantiques de droite que de romantiques de gauche. Villèle, sensé, ennemi des exagérations, laissait tomber les exigences des têtes chaudes et, quand il devait céder à la majorité, s’y prenait assez bien pour que ses concessions ne fussent pas nuisibles. On lui imposa un projet de rétablissement du droit d’aînesse, qui fut enterré par la Chambre des pairs elle-même : bien qu’il ne fût question que d’éviter le démembrement des grandes propriétés foncières, bien qu’on alléguât l’exemple des Anglais, ce projet de loi avorté n’en fut pas moins représenté par la gauche comme une menace pour toutes les familles. La loi du sacrilège, qui fut votée, mais ne fut jamais appliquée, devint encore un grief des libéraux contre Villèle. L’idée, très politique, recommandée par tous les hommes réfléchis, d’indemniser les Français dont les biens avaient été confisqués pour crime d’émigration, fut combattue avec passion sous le nom de « milliard des émigrés », bien que ce milliard se soit réduit à 625 millions. Il s’agissait de fermer une dispute irritante, de rassurer définitivement les acquéreurs de biens nationaux, toujours inquiets d’une revendication des anciens propriétaires. Cette mesure de paix sociale, jugée insuffisante par l’extrême droite, fut dénoncée par la gauche comme une provocation. Chose plus incroyable : la conversion des rentes, rendue possible parce que les fonds publics, grâce à l’ordre des finances et à la prospérité, avait atteint le pair, déchaîna contre Villèle les fureurs de la bourgeoisie, bien que l’opération, si souvent réalisée depuis, fût parfaitement régulière et conforme aux intérêts de l’État et de la nation. On retrouvait là quelque chose de l’aveugle passion des rentiers de 1789.
Et ce n’est pas encore pour ces raisons que Villèle fut le plus attaqué. Sa modération, sa prudence, il les portait dans la politique étrangère. Il restait fidèle à la méthode qui, après 1814 et 1815, avait permis à la France de reprendre son rang et de retrouver sa sécurité. Si les traités de Vienne étaient cruels pour nous, nos propres pertes avaient pour contrepartie que des agrandissements avaient été refusés à d’autres puissances. Bouleverser l’Europe, accroître la Prusse et la Russie pour retrouver les frontières naturelles, cette politique de compensation renouvelée de 1795 lui paraissait mauvaise. Il résistait adroitement, quand le tsar nous poussait, au nom des
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