Histoire de France
insurgés qui étaient restés sous les armes et qui réclamaient des satisfactions immédiates. Il fallut leur promettre le « droit au travail », au nom duquel furent créés les ateliers nationaux pour occuper les chômeurs. Lamartine parvint, non sans peine, à maintenir le drapeau tricolore et à écarter le drapeau rouge. Pourtant les exigences des ouvriers étaient moins graves que leurs illusions. Comme les modérés leur avaient dit que le progrès ne pouvait se réaliser en un jour, ils avaient montré leur bonne volonté en mettant « trois mois de misère au service de la République ». Trois mois pour réformer la société ! le suffrage universel proclamé, l’accès de la garde nationale, jusque-là réservé aux classes moyennes, ouvert à tous, la diminution de la journée de travail, la création d’une Commission des réformes sociales : c’était, avec les ateliers nationaux, à peu près tout ce qui était possible.
Mais il y avait des revendications d’un autre ordre qui étaient bien plus dangereuses, celles que l’idéalisme révolutionnaire inspirait. La revanche des traités de 1815, les frontières naturelles, la haine de la Sainte-Alliance avaient pris un caractère mystique. Les insurgés de 1830 pensaient encore aux conquêtes, à la Belgique et à la rive gauche du Rhin. Ceux de 1848 avaient la religion des peuples opprimés, de la Pologne surtout, dont le nom revenait sans cesse dans les discours. Sur divers points de l’Europe, des mouvements révolutionnaires avaient précédé les journées de Février. D’autres, à Berlin, à Vienne, les suivirent. On crut qu’une ère nouvelle de justice et de liberté allait s’ouvrir pour le monde. Paris était plein de réfugiés de tous les pays qui allaient, en cortèges acclamés par la foule, demander le secours du gouvernement provisoire. Lamartine devait répondre chaque jour à des délégations allemandes, hongroises, italiennes, polonaises, irlandaises, norvégiennes même. Une pression s’exerçait sur la République pour l’entraîner à la guerre de propagande en faveur de laquelle insistaient, avec Ledru-Rollin, les républicains de doctrine. Lamartine, qui avait pris le ministère des Affaires étrangères, abondait en nobles paroles, mais temporisait de son mieux, éclairé par ses responsabilités et craignant de jeter la France dans des aventures et de renouer contre elle une coalition. Il eût peut-être fini par intervenir en faveur de l’Italie soulevée contre l’Autriche, si les Italiens, en souvenir de l’occupation française, au temps de la Révolution et de l’Empire, n’avaient redouté les républicains français autant que les Habsbourg et répondu que l’Italie « ferait d’elle-même ». L’esprit de ces révolutions européennes était avant tout national. Elles annonçaient la formation de ces grandes unités, l’unité italienne, l’unité allemande, qui ne s’accompliraient qu’en brisant les cadres de l’Europe et en provoquant de grandes guerres.
Ces conséquences, que Louis-Philippe et Guizot avaient entrevues lorsqu’ils s’étaient associés à Metternich pour une politique de conservation, échappaient aux républicains français. C’est l’honneur de Lamartine d’avoir résisté à leurs sommations. Mais, à ces débuts de la deuxième République, un souci commençait à dominer les autres. Il ne suffisait pas d’avoir proclamé le droit de tous au suffrage. Il fallait consulter le suffrage universel, et, à mesure que l’heure approchait, c’était chez les révolutionnaires que les appréhensions étaient les plus vives. On commençait à se demander si toute la France était à l’image de Paris, si elle n’allait pas élire une majorité modérée, peut-être réactionnaire, paralyser la République, sinon la détruire. Alors ce furent les plus avancés qui réclamèrent l’ajournement des élections et la « dictature du progrès ». Intimidé par la manifestation du 17 mars, le gouvernement provisoire recula jusqu’au 23 avril la date du scrutin. Ce répit, les partisans de la République sociale le mirent à profit pour organiser une « journée » sur le modèle de la Révolution, afin d’épurer le gouvernement provisoire et d’en chasser Lamartine et les modérés. Comme sous la Révolution aussi, lorsque les Jacobins avaient été battus, c’est par les légions de la garde nationale restées fidèles à l’ordre que le coup de force
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