Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
dont
les dangers devenaient de plus en plus menaçants. La discorde la
plus déplorable divisait les Bretons et leurs alliés, tandis que la
discipline la plus parfaite assurait aux Français d’immenses
avantages. La bataille de Saint-Aubin-du-Cormier (1488), gagnée par
l’armée royale, coûta quatre mille hommes aux vaincus ; le duc
d’Orléans et le prince d’Orange furent faits prisonniers. Rennes,
Dinan et Saint-Malo se rendirent peu après, presque sans effort. Le
malheureux François, désespéré, sans espoir du côté de l’Angleterre
qui promettait tout, et n’accordait rien, sans espoir du côté du
roi des Romains, alors prisonnier à Bruges, demanda humblement la
paix. Après de longues discussions dans le conseil du roi et une
vive opposition de la part de M me de Beaujeu,
la France consentit à traiter. Les conditions ne furent pas celles
d’un parent, mais d’un souverain qui commande à des rebelles. On
exigea de François II le renvoi des troupes étrangères, et le
serment de n’en jamais appeler dans ses États ; la promesse de
ne pas marier ses filles sans l’agrément du roi ; la cession
de Saint-Malo, Fougères, Dinan, Saint-Aubin-du-Cormier ;
l’entretien d’une garnison à Dol ; l’hommage lige ;
l’appel de ses cours de justice au parlement de Paris.
Ainsi la Bretagne, après mille ans, cessait de
former un État indépendant. Cette paix désastreuse n’éteignit pas
les haines qui dévoraient les grands seigneurs ; les intérêts
étaient trop partagés, et la révolution qui devait unir l’antique
Bretagne à la France se préparait. François II ne survécut pas
à la honte ; il rendit le dernier soupir à Nantes, le 9
septembre 1488.
La jeune Anne fut proclamée duchesse après la
mort de son père. Charles VIII exigea de sa parente qu’elle ne
prit pas ce titre, et qu’elle remit ses droits en arbitrage ;
il réclama sa tutelle, celle de sa sœur, et la garde noble de leurs
terres et seigneuries pendant leur minorité ; et il requit
impérieusement le licenciement définitif de tous les corps armés.
Les projets du roi de France devenaient manifestes. Vainement Anne
implora le secours de la Flandre et de la Bretagne :
Charles VIII triomphait en Bretagne par ses lieutenants, qui
tous étaient des Bretons acharnés à la perte de leur pays. Au
milieu de toutes les ambitions mises en jeu par la convoitise de sa
main et surtout de son duché, Anne crut voir luire un espoir de
paix, dont Maximilien réclama le prix en demandant la main de la
fille de François II ; mais il ne fut jamais son mari que
de nom, n’ayant pu débarquer en Bretagne, où sa fiancée déployait
un courage, une grandeur d’âme dignes du noble but qu’elle se
proposait, l’indépendance de ses États. Elle résistait au sire
d’Albret, qui venait de livrer Nantes aux Français, sous condition
d’épouser la princesse ; elle refusait opiniâtrement sa main à
Charles VIII.
Le duc d’Orléans, libre alors, eut quelque
influence sur ses déterminations, et les sentiments personnels
d’Anne cédèrent à l’espérance de rendre un avenir à ses peuples, la
prospérité à ses villes demi-ruinées, le repos à ses campagnes
dévastées. Les conditions du mariage d’Anne avec le roi de France
furent la paix, l’oubli du passé, la conservation des franchises et
privilèges, le maintien des formes judiciaires, la remise des
confiscations, un douaire immense, la réserve de tous les droits de
la princesse sur son duché, et la reconnaissance de son autorité
spéciale. Elle avait à peine quinze ans ; son couronnement
comme reine de France eut lieu à Saint-Denis ; elle fit son
entrée à Paris aux acclamations d’un peuple immense.
Ce mariage, avant d’être accompli, avait causé
de grands chagrins à la princesse ; il lui avait fallu
combattre son penchant pour Maximilien, et vaincre son aversion
pour Charles VIII. La politique et la situation fâcheuse de
son pays l’aidèrent à triompher de ces obstacles, beaucoup plus que
la haute qualité de reine de France. Le roi, de son côté, devenu
son époux en quelque sorte malgré elle, n’oublia rien pour dissiper
entièrement les chagrins que ce mariage lui avait causé, et il se
conduisit si bien à son égard, qu’elle fut dans la suite
très-satisfaite de son sort, et eut pour ce prince l’amour le plus
vif et le plus tendre.
En devenant reine de France, Anne cessa
d’exercer sa souveraineté comme
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