Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
quelques gentilshommes, et dit à
François II qu’il était obligé d’arrêter le trésorier et de le
mettre en prison ; qu’il le suppliait de vouloir bien y
consentir pour apaiser le peuple. « Quel mal a-t-il
fait ? repartit le duc. – On l’accuse, dit le chancelier, de
plusieurs crimes ; il est peut-être innocent ; mais quand
il sera arrêté, la fureur du peuple se calmera. Au reste, on ne lui
fera aucune injustice. – Me le promettez-vous ? »
interrompit le duc. Le chancelier le jura sur sa foi et aussitôt
François alla prendre Landais par la main, et le livra au
magistrat. « Faites justice, ajouta-t-il, et souvenez-vous que
c’est à lui que vous êtes redevable de votre charge : ainsi
soyez-lui ami en justice. »
Pierre Landais fut conduit à la tour
Saint-Nicolas, au milieu des archers de la garde, rangés en haie,
de peur que le peuple ne lui fit quelque outrage. Dès que les
seigneurs confédérés eurent appris l’emprisonnement du favori, ils
se rendirent à Nantes et vinrent saluer le duc, auquel ils
exposèrent les motifs de la conduite qu’ils avaient tenue. Le duc
goûta leurs raisons et leur pardonna.
Cependant des commissaires furent nommés pour
travailler au procès de Landais, en présence du prince d’Orange, du
maréchal de Rieux et du comte de Comminges. Pierre avoua une partie
des crimes qu’on lui imputait ; mais la torture seule put lui
arracher la déclaration des autres. La mort de Chauvin, celle d’un
fils de l’infortuné Gilles de Bretagne, une foule d’homicides
subalternes, des arrestations illégales, des clercs jetés à l’eau
dans des sacs, des concussions de toute nature, des distributions
de lettres de marque à des corsaires pour attaquer les vaisseaux
des puissances avec lesquelles on vivait en paix, l’incendie de
plusieurs villes, l’abus du sceau particulier de François II,
tels furent les principaux points de l’acte d’accusation de
Landais.
Le procureur général donna ses
conclusions : « Vu les confessions publiques et secrètes
de Landais, preuves, enquêtes et informations ; attendu
l’énormité des crimes et délits dont Landais est chargé, il est
jugé que ledit Pierre a commis trahison, et qu’il doit être conduit
par le bourreau, la corde au cou, jusqu’au gibet, et pendu jusqu’à
ce que mort s’ensuive : ses biens et meubles seront confisqués
et acquis au duc. Il doit être traîné sur la claie ; mais, par
certaine considération, le duc lui remet cette peine. » Or, le
duc ne savait pas un mot du jugement, ni de la condamnation de son
ministre ! Les conseillers voulaient, selon les règles de
l’équité, donner avis à François II de l’état de la
procédure ; mais les seigneurs s’y opposèrent, de peur qu’il
ne lui accordât sa grâce ; et dans ce cas que n’avait-on pas à
craindre. Landais se flatta jusqu’au dernier moment, et s’imagina
que le duc lui enverrait sa grâce ; mais on y avait mis ordre.
On avait eu la précaution de faire garder non-seulement les portes
du château, mais même celle de la chambre du duc, afin qu’il ne pût
apprendre aucune nouvelle de la condamnation de Landais. Tandis que
son favori marchait au supplice, le comte de Comminges entra dans
la chambre du duc, affaiblit par l’âge et la maladie.
François II lui dit d’un ton chagrin : « Compère,
j’ai su que l’on besogne au procès de mon trésorier. En scavez-vous
rien ? – Oui, Monseigneur, répondit le comte ; et l’on y
a trouvé de merveilleux cas ; mais quand tout sera vu et
entendu, l’on vous viendra apporter l’opinion du conseil, pour en
ordonner ainsi qu’il vous plaira. – Ainsi le veux-je, dit le
duc ; car, quelque cas qu’il ait commis, je lui donne sa
grâce, et si ne veut qu’il meure. » Le comte entretint ensuite
le duc de choses agréables et l’amusa jusqu’à se que Landais fût
hors d’état de recevoir sa grâce.
Le duc ne tarda pas à apprendre le sort de son
favori ; il s’abandonna à la plus vive douleur, et maudit cent
fois le comte de Comminges. Le corps de Landais, à la prière de ses
parents, fut détaché du gibet et enterré dans l’église Notre-Dame
de Nantes, où il fut mis dans une chapelle qu’il avait fait bâtir.
Il ne laissait point d’enfants, si ce n’est une fille, héritière de
ses biens considérables, par une faveur particulière du duc.
Telle fut la fin d’un ministre d’une immense
capacité, dont le génie
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