Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
– Eh bien,
Monsieur, repris-je, le Fils de Dieu a bien voulu être condamné
lui-même le plus injustement du monde. Ce qui se trouve le plus
admirable dans tout le cours de sa Passion, c’est qu’au milieu de
toutes les injustices et de tous les outrages qu’on lui faisait, il
gardait un silence qui a quelque chose de divin. C’est le propre
des grandes âmes de souffrir, et de souffrir courageusement toutes
les plaintes injustes. »
« M. de Talhouet me dit qu’il
n’était pas tant affligé de mourir que de laisser une femme désolée
et de pauvres enfants sans aucune ressource ; il répéta ces
mots :
Pater, non mea volontas, sed tua fiat.
« N’écrivez point d’abord à mon épouse, me dit-il ;
enceinte, je crains qu’en recevant la nouvelle de ma mort elle ne
meure de douleur, parce que c’est elle qui est cause que je suis
ici ; cause innocente ! Elle croyait bien faire, aussi
bien que tous mes amis, qui me conseillèrent comme elle de me
rendre, parce qu’ils s’imaginaient que le prince régent ne
demandait qu’une soumission. »
Les condamnés avaient demandé un délai de
vingt-quatre heures pour mettre ordre à leurs affaires temporelles
et pour se présenter dignement devant Dieu ; leur requête fut
rejetée. À neuf heures du soir, à la lueur des torches, les quatre
martyrs, entourés d’une triple haie de soldats, furent conduits au
supplice. Pendant le trajet, Talhouet, dont le calme et la douceur
ne s’étaient point démentis un seul instant, se pencha vers le père
Nicolas et lui dit : « Vous voyez, mon Père, nous nous
laissons conduire comme des agneaux à la boucherie. – C’est en
cela, Monsieur, lui répliqua le carme, que vous vous rendez plus
semblables au Fils de Dieu. Il pouvait d’une seule parole renverser
et anéantir tous ses ennemis, mais il crut qu’il était plus digne
de lui de faire éclater la pénitence que la force. » Quelques
moments après, les cris et les gémissements du peuple, que nous
entendions, me donnèrent occasion de lui dire : « On
plaint votre sort, Monsieur, et on ne plaignait pas celui du Fils
de Dieu. » Il me protesta plusieurs fois qu’il n’avait dans le
cœur le moindre ressentiment contre ceux qui le faisaient mourir,
ni contre aucunes autres personnes… Comme nous entrions dans la
place du Bouffay : « Est-ce ici, mon Père ? me
dit-il. – Oui, Monsieur, c’est ici votre calvaire, lui
répliquai-je ; c’est ici que vous devez quitter la terre pour
aller au ciel ; les cieux sont déjà ouverts pour vous, si vous
souffrez bien généreusement et chrétiennement. »
« Plus nous avancions et plus nous
découvrions de soldats ; c’est ce qui me fit lui dire :
« Il y a infiniment plus d’anges qui vous attendent et vous
recevront avec joie dans le ciel, qu’il n’y a de soldats pour être
témoins de votre départ. »
Un peu avant d’arriver au lieu du supplice,
M. de Mont-louis aperçut sa femme à une fenêtre ;
elle avait voulu recevoir les derniers adieux de son mari.
Montlouis leva les yeux vers l’infortunée :
« Adieu ! adieu ! » lui cria-t-il.
M me de Montlouis répondit par des cris
déchirants, qui furent répétés par la multitude.
Montlouis, après avoir serré dans ses bras ses
nobles amis, monta le premier sur l’échafaud, et, au moment
d’incliner sa tête, dit à haute voix :
Sancta Maria, Mater
Dei… Ora pro nobis !
répétèrent les voix fermes de ses
frères. La hache se leva et retomba.
« Ah ! Messieurs, s’écria le père
Nicolas, il est déjà dans le ciel ! »
Talhouet monta ensuite, se déshabilla, et se
tournant vers la foule : « Priez pour moi, priez pour mon
âme ! dit-il d’une voix forte. – Nous le ferons ! nous le
ferons ! » répondit la foule. La tête du martyr roulait
un moment après. Le père Nicolas fut tout couvert du sang de son
pénitent : «
Jesu ! Maria !
Credo
» s’écria du Couëdic, et il reçut le coup de la
mort.
Poncallec, se tournant alors vers le greffier
de la chambre royale, tout pâle de terreur et d’émotion :
« Monsieur, dit le gentilhomme d’une voix assurée, vous avez
de l’argent à moi ; ne manquez pas, je vous en prie, de faire
prier Dieu pour le repos de mon âme. » Le greffier salua,
étouffé par ses sanglots. « Et toi, dit Poncallec au bourreau,
garde cette bague et dis-moi ton nom. – Je m’appelle
La
Mer
, »
répondit l’exécuteur. Poncallec se
souvint de la
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