Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
hommes
d’élite avec des munitions et des armes, et lançant des
proclamations au nom de Philippe V, roi d’Espagne et
régent de France.
Ce secours paralysa l’insurrection. À la vue
des Espagnols, qui les avaient tant opprimés sous la Ligue, le
peuple refusa de suivre ses chefs, et dans ses alliés ne voulut
voir que des étrangers et des ennemis. Montesquiou, prévenu de
longue main, saisit l’occasion pour frapper un coup décisif ;
il repoussa les conjurés qui venaient au-devant des vaisseaux, et
enchaîna les uns et les autres, en leur interdisant toute
communication. Les gentilshommes se sentant perdus, tentèrent un
dernier effort héroïque mais inutile : le régent et Dubois
avaient mis leurs têtes à prix. Pour l’honneur de la Bretagne, il
se trouva à peine quelques misérables assez lâches pour trahir le
secret de la retraite des chefs de l’insurrection. Sur cent
quarante-huit accusés, on n’en put saisir que quatre : le
marquis de Poncallec de Montlouis, de Talhouet et du Couëdic. Tous
les autres eurent le temps de gagner l’Espagne, sauf un petit
nombre qui restèrent inconnus dans le pays.
Le peuple injuria comme délateurs et menaça de
mort tous les témoins qui se rendirent à l’appel de la cour
instituée pour juger, ou plutôt pour condamner à mort les
malheureux chefs de l’insurrection. Ce fut à qui refuserait au
tribunal les moindres renseignements, à qui recueillerait, au péril
de sa vie, les malheureux poursuivis d’asile en asile. Tout le
monde se fit gloire, d’effacer ainsi les trahisons qui avaient
signalé les commencements de cette lamentable affaire. Une
glorieuse et touchante tradition conservée dans la famille de Bruc,
raconte ainsi les aventures du marquis de Poncallec et de ses
compagnons. Enfermés d’abord au château de Poncallec, ils y furent
surpris par des cavaliers qui avaient entouré de linges les pieds
de leurs chevaux ; mais ils s’évadèrent par un souterrain, et
se réfugièrent au milieu de la nuit dans un cimetière. Là s’élevait
un if énorme et creux, dans lequel les fugitifs parvinrent à
trouver place : ils y restèrent pendant quinze jours, nourris
et gardés en secret par les paysans, dont aucun ne préféra le riche
prix de leurs têtes à la mort infâme qu’il encourait en les
sauvant. Ils quittèrent enfin ce refuge pour s’embarquer sur des
vaisseaux espagnols : Poncallec seul refusa cette voie de
salut ; un devin lui avait prédit qu’il mourrait par la
mer ; il traversa toute la France, au milieu de mille périls,
et allait toucher le sol de la Castille, quand il fut arrêté
déguisé en moine, et ramené de garnison en garnison jusqu’au
château de Nantes.
Les quatre gentilshommes comparurent devant
leurs juges le mardi de la Semaine sainte, 26 mars 1720. Un seul
jour suffit aux débats, à la condamnation et à l’exécution, tant le
régent et ses dignes représentants étaient altérés du sang de ces
nobles et héroïques victimes. Pour que rien ne manquât à
l’iniquité, de tous les conspirateurs qu’on eût pu saisir les
quatre accusés étaient les moins coupables. « Il faut donc
trancher le mot, dirons-nous avec un auteur de ces derniers temps,
la condamnation de ces hommes fut une lâche barbarie ; leur
mort fut un véritable martyre. »
Nous en appelons à un témoin oculaire et
impartial qui nous a laissé le récit de leurs derniers moments, au
P. Nicolas, confesseur de Talhouet. Nous lui empruntons la
touchante simplicité de son style pour raconter la mort des quatre
gentilshommes, dont la piété rappelle la foi des premiers
chrétiens.
« Les Pères Pierre, Matthieu, Georges et
Nicolas, se rendirent au château de Nantes : on les avertit
que quatre gentilshommes étaient condamnés à la mort, et que leurs
arrêts devaient être exécutés sous deux heures. Il ne fallait pas
manquer de leur en donner avis, afin qu’ils prissent mieux leurs
mesures et qu’ils missent ordre à leurs affaires et conscience… Le
Père Pierre, comme le plus ancien, s’avança. Il aperçut, en
entrant, M. le marquis de Poncallec à genoux, à qui on
finissait de lire son arrêt de mort. La douleur qui le saisit lui
fit répandre quelques larmes ; mais il n’opposa aucune
résistance lorsque les exécuteurs lui lièrent les mains… Il fut,
dans l’instant, conduit à la chapelle avec son confesseur. –
« Pensez-vous, mon Père, lui dit-il d’abord, que Dieu veuille
bien me
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