Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
excitaient au
loin un dégoût profond. Menacés dans leurs privilèges, les pays
d’états n’attendaient qu’une occasion favorable pour arborer
l’étendard de la rébellion : ce fut, comme toujours, la
Bretagne qui la première se leva et s’arma.
Depuis la mort de Louis XIV, la Bretagne
avait fait d’immenses sacrifices : elle avait accordé trois
millions de livres pour don de joyeux avènement, quoiqu’elle fût
chargée d’une dette d’environ trente-six millions. Les trois ordres
n’étaient donc rien moins que disposés à accueillir de nouvelles
demandes d’argent. Ce fut alors que le duc de Montesquiou vint
demander aux états réunis à Vannes le vote par acclamation d’un
million de livres à titre de don gratuit (1717) : le refus le
plus formel accueillit cette réclamation. À cette nouvelle, le
régent, par un acte d’un despotisme plus absolu que celui du grand
roi lui-même, ordonna la dissolution des états de Bretagne et la
levée des subsides au nom du roi. Cet acte incroyable remua
profondément le pays ; la noblesse adressa au conseil de
régence une plainte dont la forme était respectueuse, mais dont le
fond, plein de vigueur, indiquait une résolution inébranlable de
résister à l’arbitraire. Le parlement de Bretagne joignit ses
remontrances à celles des états. La noble fermeté de la province
eut en France un immense retentissement. Le régent, irrité d’une
telle conduite, dirigea de nouvelles troupes vers
l’Armorique ; trente mille soldats furent échelonnés de Nantes
jusqu’à Rennes et Dinan. Cette mesure acheva d’exaspérer au plus
haut point la noblesse bretonne.
Dans le même temps, le cardinal Alberoni,
premier ministre d’Espagne, formait le vaste dessein de conquérir
la Sardaigne et la Sicile, de faire marcher les Turcs contre
l’empereur, de rétablir les Stuarts sur le trône d’Angleterre, et
d’arracher la régence de France au duc d’Orléans, pour la faire
passer dans les mains de Philippe V. Ce vaste plan n’avait en
France que le caractère d’une conjuration, ou même d’une intrigue.
Tandis qu’il corrompait la duchesse du Maine et quelques
courtisans, le ministre espagnol établissait des intelligences en
Bretagne, où le despotisme du régent et la bassesse de sa politique
avaient révolté tous les cœurs généreux. Le plan des Bretons, une
fois le duc d’Orléans renversé, était d’exiger la restitution de
toutes les franchises confisquées depuis l’union, ou l’abolition de
l’union elle-même et le retour à l’ancienne indépendance. Le
premier de ces projets était assurément légitime et possible ;
mais rien n’était disposé pour l’accomplissement du second, beau
rêve de quelques têtes plus ardentes que sensées. Outre cet intérêt
national, les gentilshommes bretons voulaient sauver la couronne et
la vie de Louis XV, que les chefs de la conspiration disaient
menacée par l’ambition du régent.
Laissant les Parisiens écrivailler et bavarder
dans l’ombre, nos gentilshommes, qui ne savaient que manier leur
épée, s’armèrent pour agir au grand jour, et donnèrent le signal de
l’indépendance. Chaque manoir devint un foyer de rébellion, et les
châtelaines se firent les chefs de l’enrôlement. Les capitaines
furent MM. de Guer, de Poncallec, de La Boëssière,
Lambilly, du Couëdic, de Melac-Hervieux, de Montlouis, les trois
Talhouet, les deux Polduc, cadets de Rohan, et bien d’autres ;
tous liés à leurs vassaux par les mêmes intérêts, par les mêmes
travaux et par la même langue.
On fortifia de toutes parts les tourelles, on
rouvrit les souterrains, on décrocha du mur les vieilles épées.
Talhouet de Bonamour appela sa troupe
les soldats de la
liberté ;
du Koskaër inscrivit sur sa bannière :
Pour le Droit et la Raison ;
Lambilly devint
maître Pierre ;
et du Koskaër,
le chevalier du
Bon-Sens.
–
Entrer dans la forêt
voulait dire entrer
dans la conspiration. Une veste de coutil et un chapeau de paille
d’où pendait un ruban noir, tel était l’uniforme des sauveurs du
pays Le parlement était secrètement d’accord avec les insurgés. En
un mot, excepté les villes, facilement contenues par les garnisons,
et peu disposées d’ailleurs à la révolte, toute la province et
surtout la basse Bretagne allait
entrer dans la forêt,
quand, après une longue attente, arriva la flotte espagnole,
chargée d’appuyer le mouvement, apportant trois mille
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