Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
croissant des finances. Pour comble de malheur, les
récoltes de 1783 furent nulles ou mauvaises, et l’hiver de 1784
horriblement rigoureux. Pendant quatre mois sans interruption, le
froid, la glace et la neige suspendirent les travaux en
Bretagne : le peuple, mourant de faim, assiégeait les
boulangeries en plein jour. Il fallut les faire garder par des
soldats : il s’ensuivit des rixes où le sang coula.
En 1785, La Chalotais meurt, et La Fayette
paraît aux états de Bretagne. La pompe funèbre de l’un, le triomphe
de l’autre, influèrent puissamment sur l’avenir des idées
révolutionnaires dans la vieille Armorique. La Fayette était Breton
par sa mère, dont les biens étaient en grande partie situés en
Bretagne. Au milieu de la déconsidération où tombait chaque jour la
royauté, dans la personne du vertueux mais faible Louis XVI,
c’étaient encore les trois ordres de Bretagne qui respectaient le
plus sincèrement le roi, tout en se défendant avec fermeté, avec
rudesse même, contre ses ministres inintelligents. « Mais,
comme l’a dit très-bien un historien moderne, chaque victoire
remportée par la vieille indépendance bretonne était célébrée comme
une conquête par la jeune liberté française ; de sorte que
sans le savoir et sans le vouloir, par la nature même des choses,
la plus dévouée des provinces se trouvait à la tête de la
révolution. »
Au milieu de ces angoisses sans cesse
renaissantes, de ces luttes dont la gravité effrayait tous les
esprits sérieux et les cœurs vraiment patriotiques, un remède
infaillible fut indiqué par tout le monde : on demanda à
grands cris la convocation des
états généraux de
France !
La monarchie, devançant la révolution pour la
contenir, promit d’elle-même ces états généraux, si ardemment
invoqués, et ensevelit les parlements dans les réformes
suivantes : suppression des chambres des enquêtes et des
requêtes ; abolition des tribunaux d’exception ;
limitation du ressort des cours souveraines par la création de
cours inférieures ; remaniement de l’ordonnance
criminelle ; institution d’une cour plénière pour
l’enregistrement des lois, composée de seigneurs, d’évêques, de
conseillers d’État et de MM. de la grand’chambre du
parlement de Paris (lit de justice du 8 mai 1788). Presque toutes
ces réformes étaient excellentes ; mais elles venaient trop
tard. N’ayant que la moitié de ce qu’il attendait, le peuple
accueillit par une réprobation unanime ce qui lui était
offert ; et les parlements, appelant toute la France à leur
aide, rendirent à la monarchie le coup qui les frappait, en
l’obligeant d’établir ses réformes par les moyens les plus
despotiques. La cour de Paris renouvela en tombant ses
protestations ; celle du Dauphiné mit le pays en révolte
ouverte ; toutes les autres l’imitèrent avec plus ou moins de
succès ; huit d’entre elles furent exilées par la force des
armes ; enfin le parlement de Rennes eut son tour ; mais
on ne doit point le condamner comme les autres : la situation
de ce parlement était en effet tout exceptionnelle.
Les réformes qui promettaient la liberté à la
France, en abolissant les privilèges, menaçaient l’indépendance de
la Bretagne, dont les privilèges formaient toute la base. Ce qui
était pour celle-là la rénovation, était pour celle-ci la ruine et
l’assujettissement. La question n’était pas, pour la Bretagne,
d’être plus ou moins libre, mais d’être encore ou de cesser d’être
la Bretagne. Malheureusement pour sa nationalité, la bourgeoisie
des villes allait bientôt sacrifier son patriotisme aux réformes
françaises ; et cette disposition n’était que trop justifiée
par le dédain croissant des gentilshommes pour le tiers-état.
Le 5 mai 1788, le parlement de Rennes, toutes
chambres assemblées, protesta « contre toute loi nouvelle qui
pourrait porter atteinte aux lois et aux constitutions du royaume
en général, et aux droits, franchises et libertés de la Bretagne en
particulier, etc. » Les adhésions ne se firent pas
attendre ; celle de la noblesse et des commissions
intermédiaires des états fut présentée, à leur tête, par le comte
de Botherel, procureur général syndic de son ordre. Après, vinrent
tous les corps publics : les avocats, les facultés de droit,
la milice, le chapitre, etc. La foule assiégeait les portes du
palais, applaudissant chaque députation au passage. De
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