Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
prophétie qui lui avait dit :
Tu mourras par
la mer,
et il tressaillit. Un instant après, son âme allait
rejoindre celles de ses héroïques amis. Tous les quatre furent
inhumés dans le couvent des Carmes, comme ils en avaient exprimé le
désir.
Philippe V ne put retenir un torrent de
larmes quand il apprit l’horrible sort de ses nobles alliés. Les
populations bretonnes réhabilitèrent hautement la mémoire des
quatre martyrs ; leurs images furent recueillies comme celles
des saints, dans les châteaux et les chaumières, et la poésie
populaire chanta sous mille formes et chante encore aujourd’hui le
dévouement de leur vie et l’héroïsme de leur mort.
Le lendemain même de cette exécution, seize
gentilshommes, qu’on n’avait pu saisir, furent suppliciés en
effigie. Restaient les exilés, qui se mouraient du mal du pays à la
cour d’Espagne : dénués de tout, mais trop fiers pour implorer
un pardon, beaucoup finirent loin de leur vieille et chère
Bretagne ; les autres cédèrent ou furent amnistiés, et
rentrèrent sur le sol de la patrie.
Une horrible catastrophe vint combler enfin
les malheurs de cette fatale année 1720. La ville de Rennes tout
entière fut la proie d’un vaste incendie, dans la nuit du 22 au 23
décembre. Ce désastre dura plus de huit jours, et dévora
trente-deux rues ou places (trois mille deux cent
quatre-vingt-quatre maisons, habitées par treize mille cent
ménages), ruina cinquante-huit mille personnes, tua ou blessa six à
sept mille individus, et causa en somme une perte de
quatre-vingt-dix millions. Rennes dut à cette calamité les beaux
quartiers qu’on y admire aujourd’hui ; mais elle perdit ses
monuments historiques, ces grandes pages où la sculpture a buriné
les annales d’un peuple.
La Bretagne vit avec joie la fin de la
Régence, et salua par des fêtes publiques la majorité de
Louis XV. Ce monarque avait rendu aux villes bretonnes,
moyennant finances, quelques-unes des franchises confisquées par
Louis XIV. Quand il voulut les ressaisir comme son aïeul, sauf
à les revendre encore dans l’occasion, il trouva la bourgeoisie
bretonne plus décidée que jamais à les maintenir (1733). Si les
Bretons combattaient la monarchie dans ses usurpations, ils n’en
faisaient pas moins rude guerre aux ennemis de la France ; et
l’honneur de la victoire de Fontenoy (1745) doit être partagé entre
le maréchal de Saxe et un pauvre canonnier de Nantes, nommé Pierre
Toucart. Ce fut aussi vers ce temps que les Bretons repoussèrent
les Anglais de Lorient, de Quiberon et de Belle-Isle.
En 1748, le bon duc de Penthièvre visita son
gouvernement, et fut accueilli avec enthousiasme dans toutes les
villes de là Bretagne : « Je ne veux pas d’honneurs, je
ne veux pas de dépenses, s’écriait-il ; je ne veux que vos
cœurs. » Et il fit supprimer clefs d’argent, arcs de triomphe,
dais et feux d’artifice. « Ces clefs sont en bonnes mains,
gardez-les, » disait-il en souriant aux magistrats qui les lui
tiraient malgré lui. « Attendez du moins, mes amis, que j’aie
mérité votre reconnaissance, » répondait-il au peuple qui
répétait avec délire le nom de Penthièvre. De tels hommes auraient
sauvé la monarchie si elle eût pu être sauvée. Malheureusement,
Vignerot de Richelieu, duc d’Aiguillon, faisait presque en même
temps son entrée en Bretagne, en achetant pour six cent mille
livres au duc de Chaulnes, fils de l’ancien gouverneur, la charge
de lieutenant-général du roi. Les états le punirent de ce trafic
sans vergogne par une forte réduction sur la gratification. Ils ne
lui donnèrent que soixante mille livres après en avoir donné cent
mille à son prédécesseur, sans compter quinze mille
pour madame
la lieutenant-général.
D’Aiguillon était ruiné si le roi ne
lui eût envoyé cent mille livres. Les Bretons aimaient pourtant
cette monarchie, qui se déconsidérait à plaisir. Ils le prouvèrent
en courant baiser la main de Louis XV après l’attentat de
Damiens. Ils y mirent un empressement si cordial, que la famille
royale en fut touchée jusqu’aux larmes : « Ah !
s’écria la sainte madame Louise, tout le monde voudrait être Breton
aujourd’hui. »
En 1758 eut lieu la fameuse victoire de
Saint-Cast, à laquelle contribuèrent si puissamment trois mille
cinq cents gardes-côtes normands et bretons. Sur quatre mille
Anglais, deux cents à peine regagnèrent leurs vaisseaux. Le duc
d’Aiguillon
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