Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
Bretagne dans l’insurrection de l’Ouest :
telle est proprement la Vendée
militaire,
dont
M. Crétineau-Joly a écrit récemment l’histoire, avec cette
ampleur de vues et de style qui lui est particulière.
L’ensemble de ce grand théâtre de la guerre
civile a pour limites, d’un côté, la mer qui baigne les côtes de
Bretagne dans toute leur étendue, et de l’autre côté, une ligne qui
part de la Manche, près du Calvados, remonte l’Orne jusqu’à la
source du Sarthon, suit cette rivière jusqu’à la Sarthe, traverse
la Loire à Saumur, et aboutit à l’Océan, près des Sables-d’Olonne.
Ce territoire renferme au moins cinq millions d’habitants. Il
serait trop long d’en examiner successivement les points
principaux ; nous serons donc très-bref à cet égard.
La Vendée militaire comprend presque tout le
département de la Vendée, une partie de celui des Deux-Sèvres, et
toute la rive gauche de la Loire dans les départements de
Maine-et-Loire et de la Loire-Inférieure. Ce dernier fleuve doit
être considéré comme une ligne de séparation constante entre la
Vendée et la chouannerie. Ce grand centre vendéen a au moins huit
cent mille habitants. On distingue en Vendée le Bocage, la Plaine,
le Marais et les Îles. Le Bocage est le centre, et en quelque sorte
le résumé de la Vendée, sous tous les rapports. On y trouve peu de
grandes forêts, mais une quantité de petits bois, et le pays tout
entier semble couvert d’arbres, tant les clôtures (composées d’un
talus de cinq pieds de haut et d’une haie vive) y sont rapprochées
et multipliées.
En 1793, tout ce pays était un obscur et
inextricable labyrinthe, où se croisaient, entre un dôme de verdure
et un gouffre de boue, ces terribles chemins creux qui engloutirent
tant de bleus. Beaucoup de ces chemins étaient encaissés jusqu’à
dix ou douze pieds au-dessous du niveau des terres. Il n’y avait
que deux grandes routes, celle de Nantes à Saumur par Chollet, et
celle de Nantes à la Rochelle par Montaigu. « Encore, dit
Kléber dans ses
Mémoires,
ces grandes routes
n’offraient-elles d’autres avantages qu’un peu plus de
largeur ; car, flanquées par le même système de clôtures, on
ne pouvait s’y déployer nulle part, et les embuscades et les
surprises y étaient aussi dangereuses que fréquentes. »
En Vendée, dès les premiers temps du moyen
âge, les libertés populaires étaient placées sous la garde et la
garantie des prêtres. Qu’on s’étonne, après cela, de l’accueil que
reçurent en ce pays la constitution du clergé et la levée des trois
cent mille hommes. L’influence des nobles en Vendée, toute grande
qu’elle était en 1793, était subordonnée à celle des prêtres. Comme
l’intérêt des seigneurs ne se séparait presque jamais de celui des
fermiers, cette solidarité matérielle engendrait la fraternité
morale. Toute la Vendée étant divisée par métairies dont les fruits
se partageaient entre les propriétaires et les cultivateurs, les
relations entre ceux-ci et ceux-là étaient journalières et
continuelles. Les uns s’affligeaient naturellement des pertes des
autres, et se réjouissaient de leurs bénéfices.
Toutes les métairies qui dépendaient d’un
château en faisaient en quelque sorte partie, et les métayers
composaient ou complétaient la famille du seigneur. C’étaient à peu
près de part et d’autre les mêmes mœurs, le même langage, et
parfois le même habit. Le noble présidait en père à toutes les
phases de la vie du fermier : à son baptême, à son mariage et
à sa mort. Il était son conseil et son avocat dans ses affaires,
son confident dans ses joies et son consolateur dans ses chagrins.
Il lui remettait son loyer, ou même lui prêtait du grain et de
l’argent dans les années de détresse. Il le faisait asseoir à sa
table et le servait de sa main, toutes les fois qu’il recevait sa
visite. Le métayer lui rendait la pareille chez lui dans la même
occasion, et cela se renouvelait à peu près tous les jours. S’il y
avait un malade à la ferme, tout le château accourait : madame
la comtesse ou madame la marquise apportait des drogues ou des
douceurs, se faisait garde-malade et sœur de charité. Les bals du
dimanche se tenaient dans la cour du manoir. Le maître dansait avec
ses métayères, les métayers avec la maîtresse ; on trinquait
et l’on chantait ensemble, sans que la familiarité oubliât jamais
le
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