Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
la
troisième ; et lorsque ma fourche est renversée, les deux
pointes en bas, Dieu me cède les deux parties du monde qui me
conviennent, et je consens à lui laisser l’autre tiers à
gouverner. »
En voyant une telle folie, le saint-père ne
put s’empêcher de rire, et tous les membres du concile suivirent
son exemple. On jugea que le cerveau d’Éon était complètement
détraqué ; mais comme sa présence pouvait être encore
dangereuse en Bretagne, on le tint enfermé à Saint-Denis, où il
mourut peu de temps après, rentré dans son bon sens et
très-repentant de ses erreurs et de ses méfaits.
On eut de la peine à réduire ses
disciples ; force fut d’user de rigueur à l’égard d’un assez
grand nombre d’entre eux : plusieurs expirèrent dans leur
fatal aveuglement et le blasphème à la bouche.
Les guerres funestes qui avaient désolé la
Bretagne, et le fanatisme des hérésiarques, n’empêchèrent pas de
grands esprits de cultiver les lettres sacrées et profanes. Pierre
Abailard, l’évêque Marbode, l’archevêque Baldric, honorèrent par
leurs talents et leurs vertus le pays qui leur avait donné le jour.
Marbode se fit un nom dans la poésie latine ; Baldric écrivit
l’histoire civile et ecclésiastique de son temps ; et tous les
deux menèrent une vie sainte et paisible, tout entière occupée par
les soins actifs qu’ils donnèrent aux intérêts spirituels et
matériels de leurs diocèses. La vie d’Abailard fut, au contraire,
semée d’épreuves : son âme était plus ardente, il avait trop
aimé le monde et sa gloire trompeuse ; il ne rencontra la
guérison que dans l’humilité, et le repos que dans la tombe.
Cependant la mère de Conan venait de mourir,
et son fils s’apprêtait à la suivre dans le tombeau, en proie
depuis un an à une maladie grave, qui laissait peu d’espérance.
Avant d’expirer, il déclara aux seigneurs qu’il avait mandés auprès
de sa personne, qu’il désavouait pour son fils Hoël, qu’il avait
pourtant toujours désigné comme son héritier présomptif. Cinquante
années de guerres furent le triste résultat de ce funeste aveu,
dont il est difficile de comprendre le motif.
La déclaration de Conan III ne changea
rien aux dispositions des comtés de Nantes et de
Cornouailles ; ils reconnurent Hoël. Eudon, gendre du feu duc,
lui déclara la guerre, que les Nantais soutinrent avec courage. Ils
allaient succomber enfin, si Eudon n’eût trouvé un ennemi plus
redoutable à combattre dans le fils de Berthe, sa femme.
Conan IV sortait à peine de l’adolescence, quand tous les
jeunes seigneurs se rangèrent sous l’étendard qu’il venait de
lever, en revendiquant le duché de son grand-père. Une sanglante
bataille décida momentanément en faveur de son beau-père ;
mais il se réfugia en Angleterre pour y préparer les moyens de se
venger. Henri II, roi d’Angleterre, le mit à la tête d’un
corps de troupes considérable, et lui dit : « Cousin,
entre nous autres souverains, il n’est de loi que celle du plus
fort. Je ne suis pas clerc, et n’ai pas étudié ce que vaut le droit
que tu invoques ; mais chasse tes ennemis, et je le tiens pour
certain et valide de tout point. » Conan n’eut qu’à se montrer
sur le sol de la Bretagne, pour voir revenir à lui ses anciens
partisans, et même ceux qui naguère avaient suivi les drapeaux
d’Eudon. Rennes, assiégée par Conan, se défendit avec opiniâtreté.
Encouragé par cette résistance, Eudon vint attaquer Conan dans ses
propres retranchements ; mais, après un rude combat, Eudon dut
prendre la fuite, et Rennes fut oblige de se rendre. Conan, autour
duquel se rassemblèrent tous les seigneurs bretons, reçut leur
hommage, et se déclara duc de Bretagne sous le nom de
Conan IV.
Les Nantais, ne reconnaissant pas à Hoël assez
d’énergie ou de talent pour l’opposer avec succès au nouveau duc,
le chassèrent ignominieusement, sans que depuis aucun événement ait
révélé son sort. Ils appelèrent Geoffroy, comte d’Anjou, frère de
Henri II, roi d’Angleterre, se donnèrent à lui, et
renoncèrent, en quelque sorte, au nom de Bretons. Cette erreur
singulière, cette faute immense eut les suites les plus
affligeantes. Geoffroy mourut deux ans après, et, en vertu d’une
nouvelle décision, les Nantais supplièrent Conan de les recevoir à
obéissance : mais le coup fatal était porté. Ils avaient une
fois méconnu leur patrie ; ce fut par
Weitere Kostenlose Bücher