Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
le
nom de Font-Évrauld, les y établit comme le premier germe d’un
ordre qui en peu d’années compta des milliers de religieux.
Alain Fergent revit la Bretagne après six
années, avec le petit nombre de guerriers qu’avait épargnés le fer
des Sarrasins. Non content de s’être signalé dans plusieurs combats
particuliers, il avait assisté à trois grandes batailles, et était
entré un des premiers dans Jérusalem. Fergent, de retour en
Bretagne, se livra tout entier à de pieuses pensées et à de saintes
œuvres. La prospérité de ses peuples, la justice et la religion
devinrent l’objet de ses constantes préoccupations. Il maria son
fils aîné, Conan, à Mathilde, fille du roi d’Angleterre, et
contribua, par ses sages conseils, à la conclusion d’un traité de
paix entre Henri et Louis le Gros. Ce qu’il y eut de bizarre, c’est
que, par ce traité, daté de Gisors, en 1113, le roi de France céda
la Bretagne au roi d’Angleterre en toute propriété. Le duc Alain ne
s’en émut nullement : il était alors affligé d’une maladie
grave, pendant laquelle il fit vœu de quitter le monde, et d’entrer
pour le reste de ses jours dans un cloître. Après avoir recouvré la
santé, il remit, en présence de ses barons et de sa famille
assemblée, le gouvernement de ses États à Conan, son fils aîné. Il
se retira ensuite à l’abbaye de Redon, où il vécut en simple moine.
À son exemple, la duchesse sa femme entra dans l’ordre de
Font-Évrauld, dont elle devint une des plus humbles
religieuses.
Le peuple regretta l’abdication d’Alain, car
il était son père et son protecteur. Il fut le premier à donner des
formes stables à la justice, qui jusqu’à lui s’était rendue à peu
près au hasard ; ce fut pour ses sujets un immense bienfait.
Cette organisation de la justice fut l’origine des célèbres États
de Bretagne.
Alain Fergent mourut en 1419, regretté de
tous. Son fils aîné, qui gouvernait l’État depuis près de six ans,
se fit alors couronner sous le titre de Conan III, et, par
tendresse pour sa mère, il prit le surnom d’Ermengard ; mais
le peuple ne l’appela que Conan le Gros, comme le roi
Louis VI, qui régnait alors en France.
À cette époque, Henri d’Angleterre faisait la
guerre à Louis, parce que ce monarque généreux avait pris la
défense de Guillaume duc de Normandie, fils de l’infortuné Robert,
mort dans les prisons de son frère. Henri somma Conan de venir à
son aide ; mais les Bretons, las de l’alliance anglaise, qui,
ne voilait que faiblement des prétentions souveraines à l’antique
Armorique, refusèrent de marcher, et Conan conduisit ses troupes au
roi de France, alors occupé à repousser l’empereur d’Allemagne. La
puissance de Louis le Gros s’augmentait à cette époque de toutes
les forces que l’affranchissement des communes mettait à sa
disposition.
Alain Fergent avait donné à la France
l’exemple des appels, par la création d’une cour supérieure qu’il
présidait lui-même, accompagné des princes de son sang, des plus
grands seigneurs de ses États et des évêques. Son fils Conan voulut
à son tour suivre la route que lui montrait Louis VI. Il
aimait passionnément la justice ; mais il lui manquait
l’expérience nécessaire pour mener à bonne fin sa généreuse et
louable entreprise. Aussi ses premiers essais de réforme ne lui
attirèrent que l’inimitié des grands, sans lui assurer la sympathie
et l’amour du peuple.
Les malheurs de ce temps, tout en ramenant un
grand nombre d’âmes à Dieu, avaient aussi ulcéré quelques esprits
brouillons, qui, exaltés par le délire de l’orgueil et
méconnaissant la vertu qui était la base des prodiges opérés par
les Robert d’Arbrissel, les Bernard de Tyron, les Vital de Mortain
et autres saints apôtres de la Bretagne, se jouaient du texte des
saintes Écritures et traînaient à leur suite des hordes d’hommes
égarés. Parmi ces fanatiques, chefs de parti, il faut citer en
première ligne Éon de l’Étoile.
Issu d’une famille noble de Loudéac, il avait
d’abord été ermite dans la forêt de Brocéliande. Un jour l’esprit
de Merlin, l’antique et populaire barde d’Armorique, lui apparut et
lui dit de porter aux paroles de l’office divin plus d’attention
qu’il n’avait fait jusque alors. À la suite d’un assez long combat
intérieur, Éon se rendit cependant à l’église la plus proche, et
remarqua, après avoir ouï
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