Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
au temps de David, périr, ou par le glaive, ou par
la faim, ou par le fléau de la peste. « Que de larmes furent
répandues ! s’écrie un vieil historien ; que de
gémissements s’élevèrent au ciel ! Que de liens brisés sur la
terre donnèrent naissance à de grandes et intolérables
douleurs ! Quel est le cœur dur qui, par un retour sur
lui-même, n’accorderait pas des pleurs à de telles
calamités ! »
Mais déjà Pierre l’Ermite parcourait l’Italie,
l’Allemagne et la France, pour chercher des soldats et des vengeurs
au sépulcre du Christ. Alain Fergent fut un des premiers seigneurs
qui se croisèrent ; cependant, avant son départ, il voulut
contracter une nouvelle alliance. Il épousa Ermengarde, veuve de
Guillaume, comte de Poitou : en s’unissant par ce mariage aux
comtes d’Anjou, il donnait à sa maison de vaillants appuis. Un
grand nombre des membres de la noblesse bretonne accompagna le duc
à la première croisade ; les préparatifs en durèrent près de
deux années, pendant lesquelles Ermengarde mit au monde deux
enfants, qu’on nomma. Conan et Geoffroy.
Ces princes, qu’un but religieux poussait en
Palestine, s’étaient tous réconciliés au pied des autels avant de
se mettre en voyage : la paix qui régna parmi leurs peuples
pendant leur lointaine et longue absence permit de réparer une
partie des maux dont leurs dissensions avaient accablé les
campagnes. Pendant que, l’épée en main, ils délivraient les
chrétiens d’Orient du joug des sectateurs du Coran, le zèle de
Robert d’Arbrissel combattait en Bretagne, avec l’arme de la
parole, les dérèglements du siècle dans tous les rangs, et le feu
de l’amour de Dieu se rallumait dans le cœur des fidèles au
flambeau de sa charité toute céleste. Robert d’Arbrissel, prêtre,
partagea d’abord les soins du diocèse de Rennes avec l’évêque
Sylvestre de la Guerche. Après la mort de son protecteur, il se
retira avec un seul compagnon, dans la forêt de Craon, située entre
la Bretagne et l’Anjou. Sa réputation ne le laissa pas longtemps
jouir de la solitude : une foule de disciples se rendit au
désert, vint partager la pénitence de l’ermite et imiter sa vie
austère. À la plus grande éloquence, à l’esprit de persuasion et de
charité, à la sagesse des conseils, à la vraie humilité, Robert
joignait cette force de santé indispensable pour la réalisation de
ses saints projets. Il prêcha devant le pape Urbain II, qui
déclara que l’Esprit saint parlait par la bouche de Robert, et qui
le chargea d’évangéliser les campagnes. Il commença à parler dans
les carrefours et les places publiques, et bientôt il fut suivi
d’un grand nombre d’hommes et de femmes, qui renonçaient à tout en
ce monde pour profiter de ses enseignements et gagner le royaume
des cieux, dont il leur faisait les plus éloquentes peintures. Il y
avait, près de Saumur, une forêt où le brigand Évrauld avait fixé
sa demeure, et d’où il faisait frémir les habitants des villages
voisins. La mort attendait quiconque eût osé franchir le seuil de
son repaire. Robert, après s’être armé du signe de la rédemption,
pénétra dans la redoutable forêt et s’avança jusque auprès d’une
source, où, la fatigue, l’ayant gagné, il s’endormit. À son réveil,
un homme, debout devant lui, le regardait attentivement :
Robert, pensant que cet homme l’avait accompagné pour lui porter
secours au besoin, lui dit de se retirer. « Pourquoi me
repousses-tu loin de toi ? s’écrie l’inconnu ; n’es-tu
pas Robert d’Arbrissel ? – Oui, dit le prêtre, et mon devoir
est de te préserver des dangers que tu cours dans cette forêt. –
Des dangers ! et ne viens-tu pas les braver toi-même ? –
Dieu me défendra, mon fils ; je veux lui ramener une brebis
égarée ; si je succombe, je prierai du moins pour Évrauld, et
puisse mon sang racheter le désordre de sa vie aux yeux de
l’éternel rémunérateur ! – Viens, reprit l’inconnu, je te
conduirai moi-même à la demeure d’Évrauld. »
On arrive au repaire du bandit, où cinq
horribles brigands se précipitent sur le saint la hache à la main,
lorsque le guide de Robert s’écrie : « Misérables !
c’est l’homme de Dieu, Robert d’Arbrissel ! »
Ce guide, c’était Évrauld lui-même. Convertis
par un miracle du ciel, les six bandits suivirent Robert, qui,
transformant la caverne de voleurs en monastère, et lui donnant
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