Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
douceur :
« Messire Hugues, je ne vous ai pas mis à l’arrière-garde par
aucun motif qui puisse empêcher de vous considérer comme un des
meilleurs chevaliers de l’armée ; je sais très-bien que vous
êtes digne de combattre aux premiers rangs ; mais je vous ai
confié ce commandement parce que vous êtes un homme sage et avisé,
et qu’il y faut un brave comme vous. Je vous prie instamment de
l’accepter. Je vous assure que si vous le prenez, le sort du combat
dépendra de vous, et que vous y acquerrez un immense honneur ;
et je vous promets de plus que je vous accorderai la première
demande que vous me ferez, quelle qu’elle soit. » Caverley
cependant, qui se regardait comme un homme déshonoré, suppliait
Chandos, au nom de Dieu et à mains jointes, de remettre le
commandement à un autre, parce qu’il voulait combattre des
premiers. Chandos en pleura, et lui dit avec une sorte de sentiment
résigné : « Eh bien donc ! comme il faut que je le
prenne ou que vous le preniez, décidez vous-même lequel vaut le
mieux pour le salut de l’armée. » Honteux de son obstination,
Caverley saisit la main de Chandos et lui dit : « Ah,
sire ! certes, je sais bien que jamais vous n’exigerez de moi
rien qui puisse m’attirer du blâme, je l’accepte donc, et vous
serez content. »
Avant de commencer le combat, le comte de
Montfort, par piété et par prudence, envoya prier les ennemis de
respecter le jour du Seigneur et d’attendre au lendemain. Cette
proposition fut regardée par l’armée de Charles comme une marque de
timidité et de faiblesse, et rejetée avec mépris. Bientôt on
entendit le bruit des cors et des trompettes, et les deux armées
commencèrent le combat au cri de :
Bretagne !
Bretagne !
répété des deux côtés. Les gens de Montfort y
joignirent :
Malo
[3]
au
riche duc !
La mêlée fut sanglante et meurtrière :
les chevaliers de part et d’autre, excités par la présence et par
l’exemple des deux chefs, se signalèrent par des prodiges de
valeur.
Olivier de Clisson, armé d’une hache, ouvrait
les rangs et abattait tout devant lui. Il reçut un coup de pointe
qui lui creva l’œil, après avoir traversé sa visière d’acier ;
ce qui ne l’empêcha pas cependant de continuer de combattre.
Chandos se battait avec la même vigueur contre
le corps commandé par le comte d’Auxerre, qui eut un œil crevé d’un
coup d’épée et fut fait prisonnier avec le comte de Joigny.
Du Guesclin, au milieu de la mêlée, armé d’un
lourd marteau d’acier, frappait avec furie en criant :
Notre-Dame !
et assommait tout ce qui s’opposait à
lui. Mais Chandos, suivi de plusieurs chevaliers, étant venu
l’attaquer par devant et par derrière, il fut renversé. Relevé par
des soldats de sa bande, il se battit encore avec succès, quoique
gravement blessé.
Le comte de Montfort avait commandé ou permis
à un chevalier de ses parents de porter une cotte d’armes chargée
d’hermines, pour qu’il pût se mesurer avec Charles de Blois. Ce
chevalier criait à haute voix dans la mêlée :
« Bretagne ! où es-tu Charles de Blois ? »
Charles, croyant en effet que c’était le comte de Montfort, alla à
lui, le combattit, et, lui ayant déchargé sa hache sur la tête,
l’abattit à ses pieds en criant : « Bretagne ! or
est mort icelui de Montfort, par qui j’ai été ainsi grevé. »
Au même instant parut à ses yeux le véritable Montfort, qui
continuait de combattre avec beaucoup de courage, à côté de
Chandos. Ce dernier, tout en portant des coups terribles,
conseillait, encourageait le prétendant : « Faites ceci,
allez là, venez de ce côté, » lui criait-il ; injonctions
auxquelles le jeune Montfort s’empressait d’obéir.
Charles de Blois avait jusque alors remporté
l’avantage par sa valeur et par celle de ses troupes : il
avait poussé si vivement le comte de Montfort, qu’il avait renversé
sa bannière. Il touchait enfin à la victoire, lorsqu’il se la vit
arracher soudain par Caverley, qui commandait l’arrière-garde de
l’armée de son concurrent. Le capitaine anglais vint le prendre en
dos, mit le désordre parmi ses troupes, abattit son drapeau et le
fit prisonnier. Presque aussitôt un soldat lui perça la gorge et le
tua. Du Guesclin, ayant appris le sort de Charles, et que tout
pliait devant l’ennemi, se battit en désespéré pour vendre
chèrement sa vie. Enfin, n’ayant plus d’armes, accablé de
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