Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
nulle espérance de les ravitailler de nouveau, fit
dire à Lancastre que s’il voulait entrer dans la ville avec dix
personnes seulement, on lui ouvrirait les portes et on lui
laisserait arborer son drapeau sur les remparts. Le duc agréa une
offre qui le relevait honorablement de son serment. Le jour de la
cérémonie fut fixé, et tous les boulangers, bouchers et marchands
de comestibles eurent ordre d’étaler toutes les denrées qui leur
restaient, afin que les Anglais ne connussent pas la détresse où le
peuple était réduit. Le duc entra dans Rennes en
triomphateur ; on lui présenta le vin d’honneur. Il gravit le
rempart et y planta fièrement son drapeau, au-dessus de la porte
qui conduisait au camp anglais. Mais à peine fut-il reparti, que
son enseigne fut abattue, souillée de boue et mise en
lambeaux ; furieux, mais lié par le serment qu’il avait fait
de lever le siège, il se retira, cruellement mortifié, à Auray avec
le jeune comte de Montfort.
Charles de Blois récompensa en paroles le
dévouement des habitants de Rennes, et créa Du Guesclin seigneur de
la Roche-Derrien. Il profita de la trêve pour réparer ses pertes,
fortifier ses places et solder sa rançon. Ce fut le peuple qui
paya.
Au milieu de la guerre comme de la paix, ce
sont désormais le nom et les exploits d’un seul homme qui dominent
cette époque et écrasent tout son entourage. Partout on le
retrouve, en Espagne, en France, en Italie, en Bretagne ; il
semble que sa biographie soit l’unique histoire du
XIV e siècle, tant il rayonne d’un vif éclat ;
et l’on a peine à se maintenir dans d’étroites limites en parlant
de cette grande et noble figure du chevalier qui a nom Bertrand Du
Guesclin.
Le traité de Bretigny, déshonorant pour la
France, n’apporta en Bretagne qu’un surcroît de calamités. Il y
avait été arrêté, par rapport à cette province, que Jean de
Montfort et Charles de Blois comparaîtraient en personne, ou par
leurs procureurs, devant les deux rois ou leurs commissaires, qui
tâcheraient de les mettre d’accord au plus tôt ; que si l’une
des deux parties refusait de comparaître dans le temps, ou d’obéir
au jugement, les deux rois se déclareraient contre elle ; que
cependant aucun des deux monarques ne pourrait, sous quelque
prétexte que ce fût, faire la guerre à l’autre pour ce sujet ;
enfin, que la souveraineté et l’hommage de la Bretagne
demeureraient toujours au roi de France (1360). La même année, le 8
juillet, le roi Jean, prisonnier depuis la bataille de Poitiers
(1355), fut amené à Calais, et Édouard s’y rendit aussi. Le
monarque anglais renonça formellement à la souveraineté et à
l’hommage de la Bretagne, conformément au traité. Les conditions
qui regardaient la Bretagne furent acceptées par Jean de Montfort
et par Charles de Blois, qui comparurent devant les deux rois, à
Saint-Omer. On y parla de partager le duché ; mais ni l’un ni
l’autre n’ayant goûté cet expédient, Montfort suivit Édouard en
Angleterre, et Charles, pour engager de plus en plus le roi de
France à soutenir ses intérêts, maria sa fille à Louis, comte
d’Anjou, fils du roi.
Cependant la mort de Jacques de Bourbon, comte
de la Marche, et du duc de Lancastre, qui avaient beaucoup de
crédit, l’un sur l’esprit de Charles de Blois, l’autre sur celui de
Jean de Montfort, fit perdre toute espérance d’accommodement entre
eux. Les deux parties ne songèrent donc qu’à la guerre. Les deux
rois ayant consenti, tout en s’abstenant eux-mêmes, que leurs
sujets et leurs alliés prissent parti dans ce différend, Jean de
Montfort eut bientôt une armée beaucoup plus nombreuse que celle de
Charles de Blois, qui, redoutant les forces de son concurrent,
jugea à propos, de lui demander une trêve, comme pour se disposer à
traiter de la paix, mais, dans le fond, pour gagner du temps. Elle
fut conclue pour durer jusqu’à la Saint-Michel de l’année suivante.
Charles profita de cette trêve pour grossir le nombre de ses
partisans et assembler des troupes.
Malgré la trêve, chacun des deux partis fit
des entreprises sur l’autre. Charles de Blois mit le siège devant
Becherel, où commandait le sire de Latimer pour le comte de
Montfort, qui aussitôt réunit toutes ses troupes à Vannes, et
marcha au secours de la place. Montfort, ayant trouvé son ennemi
trop bien retranché pour pouvoir l’attaquer, se contenta de le
contre-assiéger. Charles, dans
Weitere Kostenlose Bücher