Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
fatigue
et blessé, il se rendit à Chandos. La victoire fut complète. Toute
la fleur de la noblesse bretonne périt dans cette bataille.
On chercha sur le champ de bataille le corps
de Charles : on lui trouva une haire sous ses armes, avec une
ceinture de corde. Ah ! monseigneur Charles, mon beau cousin,
dit Montfort qui ne put s’empêcher de verser des larmes, quoique
pour maintenir votre opinion vous ayez causé de grands malheurs à
la Bretagne, que Dieu ne me soit en aide si je n’ai pas du regret
de vous trouver ainsi ; mais cela ne peut désormais être
autrement. » Chandos, moins touché de ce triste spectacle, lui
dit : « Sire, sire, partons d’ici, et regraciez Dieu de
la belle aventure que vous avez, car, sans la mort de cestuy, vous
ne pouviez venir à l’héritage de Bretagne. » Le corps de
Charles de Blois fut porté à Guingamp et enterré dans l’église des
Cordeliers. Ainsi périt dans ce combat, après plus de vingt ans de
guerre, le comte de Blois, aimé du peuple à cause de son
désintéressement et de son amour pour la justice. Sa haute piété,
qui le fit vivre au milieu des camps comme dans un cloître, lui
valut l’honneur de la béatification.
Charles laissa cinq enfants de la comtesse de
Penthièvre, sa femme : trois fils jeunes encore, et deux
filles mariées, l’une à Louis de France, duc d’Anjou, second fils
du roi Jean ; l’autre à Charles d’Espagne, connétable de
France.
Un fait qui paraît bien prouvé, c’est que tant
les partisans de Charles de Blois que ceux de Montfort avaient
résolu de mettre fin à la guerre en sacrifiant l’un des deux
antagonistes. Charles, vaincu, fut mis à mort ; et la même
destinée était réservée à Montfort si la chance de la bataille ne
lui eût pas été favorable. Toutefois ce lâche assassinat ne passa
que pour l’excès de zèle d’un soldat. Voilà pour l’histoire, trop
exacte, hélas ! d’un crime ordonné par l’ambition. Rappelons
maintenant une anecdote peu connue, et que longtemps le peuple
breton raconta à ses enfants.
Charles possédait un magnifique lévrier blanc
dont il ne se séparait jamais. Jusqu’au jour de la bataille
d’Auray, ce bel animal lui avait donné des preuves d’un attachement
extrême. Au moment où le corps d’armée du comte de Blois vint
attaquer le bataillon commandé par Chandos, au centre duquel était
le jeune Montfort, le lévrier de Charles quitta son maître, prit
son élan, évita les coups qui pleuvaient autour de lui comme une
grêle serrée, arriva près de Jean de Montfort, lui posa ses deux
pattes effilées sur les épaules et lui prodigua les plus folles
caresses. Courtisan de la fortune et du succès, ce chien, qui
semblait doué d’une double vue, donna en ce moment un triste
exemple de la versatilité des amis de cour. Mais cette leçon, comme
bien d’autres, devait-elle profiter au vainqueur et à son brillant
entourage ?
Jean de Montfort, pour tirer parti de sa
victoire, après avoir réduit le château d’Auray, se rendit maître
de Malestroit, de Redon et de Jugon, et alla assiéger Dinan, qu’il
n’emporta qu’au bout d’un mois, car cette place était bien garnie
d’hommes et de munitions. Louis d’Anjou, gendre de Charles de
Blois, par ordre du roi Charles V son frère, s’était approché
des frontières de la Bretagne pour soutenir les restes du parti de
la comtesse de Penthièvre, et il avait mandé aux assiégés qu’il
venait à leur secours. Ils furent cependant contraints de se
rendre, après avoir essuyé plusieurs assauts : la ville de
Quimper se soumit aussi après un siège de quelques jours.
La veuve de Charles de Blois était à Nantes
lorsqu’elle apprit la mort de son mari et l’état déplorable où ses
affaires étaient réduites. De trois fils qu’elle avait donnés à
Charles, deux étaient prisonniers en Angleterre ; le
troisième, encore enfant, était auprès de sa fille, la duchesse
d’Anjou. Si le roi de France eût voulu lui donner de puissants
secours, son parti n’était pas encore entièrement abattu. Mais on
craignit à la cour de Charles V que Montfort ne fit hommage du
duché de Bretagne au roi d’Angleterre, qui l’eût reçu
infailliblement, et y eut trouvé un prétexte de faire la guerre à
la France pour soutenir son vassal. Le roi de France prit donc le
parti d’offrir à Montfort de le reconnaître pour duc de Bretagne, à
condition que le duc le reconnaîtrait lui-même pour son
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