Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
du Midi l’avantage d’une taillé élevée [704] . L’air âpre de
la Germanie donnait aux naturels une sorte de force plus faite pour les
exercices violents que pour un travail soutenu. Il leur inspirait une
intrépidité qui résultait de leurs fibres et de leur organisation particulière.
En temps de guerre, ces robustes enfants du Nord [705] sentaient à peine
les rigueurs d’un hiver qui glaçait le courage du soldat romain. Incapables, à
leur tour, de résister aux grandes chaleurs, ils éprouvaient pendant l’été une
langueur, et des maladies mortelles, et toute leur fougue se dissipait sous les
feux brûlants du soleil de l’Italie [706] .
En parcourant la surface du globe, il n’est point de partie
considérable où l’on ne découvre des habitants ; et partout l’histoire se
tait sur la manière dont ces pays ont d’abord été peuplés. En vain l’esprit
philosophique examine soigneusement l’enfance des grandes sociétés ; il
n’aperçoit que des ténèbres, et notre curiosité se consume en efforts inutiles.
Lorsque Tacite considère la pureté du sang des Germains et l’aspect affreux de
leur patrie, il est disposé à déclarer ces Barbares indigènes. Il est probable,
et peut même paraître certain, que l’ancienne Germanie n’avait pas été
originairement peuplée par des colonies étrangères déjà formées en corps
politique [707] .
Ce qui paraît le plus vraisemblable, c’est que les sauvages errants de la forêt
Hercynienne, rassemblés d’abord en petit nombre, aurait insensiblement formé un
grand peuple connu sous le nom de nation germanique. Si l’on osait prétendre
ensuite que ces sauvages fussent enfants de la terre qu’ils foulaient aux
pieds, un pareil système serait condamné par la religion, et la raison ne
fournirait aucune arme pour le défendre.
Ces doutes sensés sont bien opposés aux notions de la vanité
nationale. Parmi les peuples qui ont adopté l’Histoire de Moïse, l’arche de Noé
est devenue ce que le siège de Troie avait été pour les Grecs et pour les
Romains. Sur la base étroite de la vérité, l’imagination a placé l’immense et
grossier colosse de la fable. Écoutez l’orgueilleux Irlandais [708] ; il peut, aussi
bien que le sauvage des déserts de la Tartarie [709] , vous montrer,
dans un fils de Japhet, la tige d’où sont sortis ses ancêtres. Le dernier
siècle a produit une foule de savants d’un érudition profonde et d’un esprit
crédule ; qui, guidés par la lueur incertaine des légendes, des traditions, des
conjectures et des étymologies, ont conduit les enfants et les petits-fils de
Noé depuis la tour de Babel jusqu’aux extrémités de la terre. De tous ces
critiques si judicieux, celui qui mérite le plus d’être remarqué, est
Olaus-Rudbek, professeur de l’université d’Upsal [710] . Ce zélé citoyen
fait de son pays natal le théâtre de toutes les merveilles que la fable et
l’histoire ont célébrées. C’est de la Suède que les Grecs, ont tiré leur
alphabets, leur, astronomie, leur religion. La Suède était, selon lui, une
contrée délicieuse dont l’Atlantique de Platon, le pays des Hyperboréens, les
îles Fortunées, le jardin des Hespérides, et même les Champs-Élysées, ne nous
ont donné qu’une idée imparfaite. Un climat si favorisé de la nature ne pouvait
rester longtemps désert après le déluge. En peu d’années la famille de Noé,
composée, d’abord de huit personnes, compte vingt mille rejetons. Alors, le
savant Rudbek les sépare en petites colonies, et les disperse sur toute la
terre pour en couvrir la surface et, propager l’espèce humaine. Le détachement
germain ou suédois, commandé, si je ne me trompe, par Askenaz, fils de Gomer,
fils de Japhet, se conduisit dans cette grande entreprise avec une activité
extraordinaire. Bientôt le Nord envoie de nombreux essaims en Europe, en Asie
et en Afrique ; et, pour me servir de la métaphore de l’auteur, le sang se
porta des extrémités au cœur de l’univers.
Mais tous ces systèmes savants d’antiquités germaniques
viennent se briser contre un seul fait trop bien attesté pour donner lieu au
moindre doute, et d’une espèce trop décisive pour qu’il soit possible d’y
répondre. Les Germains, du temps de Tacite, n’avaient point l’usage des lettres [711] , connaissance
précieuse qui distingue principalement un peuple civilisé d’une horde de
sauvages plongés dans les ténèbres de
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