Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
peu aguerris, presque
sans armes, levés à la hâte et attirés sous les drapeaux par l’espoir du
pillage. Le monarque et les seigneurs de sa cour transportaient dans les tentes
l’orgueil et le luxe du sérail. Une suite inutile de femmes, d’eunuques, de
chevaux et de chameaux, retardait les opérations militaires ; et souvent, au
milieu d’une campagne heureuse, l’armée persane se trouvait séparée ou détruite
par une famine imprévue [691] .
Mais les nobles de ce royaume conservèrent toujours, au sein
de la mollesse et sous le joug du despotisme, un sentiment profond de courage
personnel et d’honneur national. Dès qu’ils avaient atteint l’âge de sept ans,
on leur enseignait à fuir le mensonge, tirer de l’arc et à monter à cheval :
ils excellaient surtout dans ces deux derniers arts [692] . Les jeunes gens
les plus distingués étaient élevés sous les yeux du monarque ; ils
apprenaient leurs exercices dans l’enceinte du palais. On les accoutumait de
bonne heure à la sobriété et à l’obéissance ; et leurs corps, endurcis par
des chasses longues et pénibles, devenaient ensuite capables de supporter les
plus grandes fatigues. Dans chaque province, le satrape avait à sa cour une
école semblable. Les seigneurs persans étaient tenus au service militaire, en
conséquence des terres et des maisons que la bonté du roi leur accordait, tant
est naturelle l’idée du gouvernement féodal. Au premier signal, ils montaient à
cheval et volaient aux armes, suivis d’une troupe brillante et remplie
d’ardeur, qui se joignait aux corps nombreux des gardes, choisis avec soin
parmi les esclaves les plus robustes et lest, aventuriers les. plus braves de
l’Asie. Ces cavaliers, également redoutables par l’impétuosité du choc et par la
rapidité des mouvements menaçaient sans cessé l’empire romain ; et les
habitants des provinces orientales voyaient tous les jours se former les nuages
qui présageaient les malheurs et la désolation de leur patrie [693] .
Chapitre IX
État de la Germanie jusqu’à l’invasion des Barbares sous le règne de l’empereur
Dèce.
LES SANGLANTS démêlés des Perses avec Rome, et leur
influence marquée sur la décadence et sur la chute de l’empire, nous ont engagé
à faire connaître la religion et le gouvernement de ce peuple. Maintenant si
nous portons nos regards vers le nord du globe, nous voyons d’abord les Scythes
ou Sarmates errer avec leurs chevaux, leurs troupeaux, leurs femmes et leurs
enfants, dans ces plaines immenses qui s’étendent depuis la mer Caspienne
jusqu’à la Vistule, depuis les confins de la Perse jusqu’à ceux de la Germanie [694] . Mais il n’est
point de nation plus digne que les Germains d’occuper une place considérable
dans notre histoire. Ce sont eux qui d’abord eurent le courage de résister aux
Romains, qui envahirent ensuite les domaines de ces superbes vainqueurs, et qui
enfin écrasèrent leur puissance en Occident. Des considérations plus fortes, et
qui nous touchent de bien près, exigent encore toute notre attention. Les
peuples les plus civilisés de l’Europe moderne sont sortis, des forêts de la
Germanie ; et nous pourrions retrouver dans les institutions grossières
des Barbares qui les habitaient alors, les principes originaux de nos lois et
de nos mœurs. Tacite a fait un ouvrage sur les Germains : leur état primitif,
leur simplicité, leur indépendance, ont été tracés par le pinceau de cet
écrivain supérieur, le premier qui ait appliqué la science de la philosophie, à
l’étude des faits. Son excellent traité, qui renferme peut-être plus d’idées
que de mots, a d’abord été commenté par une foule de savants : de nos jours, il
a exercé le génie et la pénétration des historiens philosophes. Quelles que
soient la richesse et l’importance de ce sujet, il a déjà été traité tant de
fois, avec tant d’habileté et de succès, qu’il est devenu familier au lecteur
et difficile pour l’auteur. Nous nous contenterons donc de rappeler
quelques-unes des circonstances les plus intéressantes du climat, des mœurs et
des institutions qui ont rendu des sauvages si redoutables à puissance de Rome.
La Germanie, si on en excepte la petite province de ce nom,
située sur la rive occidentale du Rhin, qui avait subi le joug des Romains,
renfermait le tiers de l’Europe. La Suède, le Danemark, la Norvège, la
Finlande, la Livonie, la Prusse, presque toute
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