Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
faire briller avec plus d’éclat la supériorité de son prédécesseur,
qu’en s’avouant lui-même trop faible pour conserver les conquêtes de Trajan.
Le génie martial et ambitieux de l’un formait contraste
singulier avec la modération de l’autre et l’infatigable activité de celui-ci
ne paraîtra pas moins remarquable, si on la compare avec la douce tranquillité
d’Antonin le Pieux, son successeur. La vie d’Adrien ne fut presque qu’un voyage
perpétuel. Doué des talents de l’homme de guerre, de l’homme de lettres et de
l’homme d’État, ce prince satisfit tous ses goûts, en se livrant aux soins de
son empire. Insensible à la différence des saisons et des climats, il marchait
à pied et tête nue dans les neiges de la Calédonie et dans les plaines
embrasées de la Haute Égypte. Il n’y eut pas une province qui, dans le cours de
son règne, ne fut honorée de la présence du souverain [37] , au lieu
qu’Antonin passa des jours paisibles dans le sein de l’Italie : pendant les
vingt-trois années que ce prince, si digne d’être aimé, tint les rênes du
gouvernement, ses plus longs voyages furent de Rome à Lanuvie, où il se
retirait pour goûter les douceurs de la campagne [38] .
Malgré cette différence dans leur conduite personnelle,
Adrien et les deux Antonins s’attachèrent également au système général embrassé
par Auguste. Ils persistèrent dans le projet de maintenir la dignité de
l’empire, sans entreprendre d’en reculer les bornes : on vit même ces
princes employer toutes sortes de moyens honorables pour gagner l’amitié des
Barbares. Leur but était de convaincre le genre humain que Rome, renonçant à
toute idée de conquête, n’était plus animée que par l’amour de l’ordre et de la
justice. Le succès couronna, pendant quarante-trois ans cette politique
respectable ; et, si nous en exceptons un petit nombre d’hostilités qui ne
servaient qu’à exercer les légions répandues sur la frontière, l’univers fut en
paix sous les règnes fortunés d’Adrien et d’Antonin le Pieux [39] . Le nom romain
était respecté parmi les nations de la terre les plus éloignées ; souvent les
Barbares les plus fiers soumettaient leurs différends à la décision de
l’empereur ; et, selon le témoignage d’un historien contemporain, des
ambassadeurs qui étaient venus solliciter à Rome l’honneur d’être admis au
nombré de ses sujets, s’en retournèrent sans avoir pu obtenir cette distinction [40] .
La terreur des armes romaines ajoutait de la dignité à la
modération des souverains, et la rendait plus respectable. Ils conservaient la
paix en se tenant perpétuellement préparés à la guerre ; et en même temps
que l’équité dirigeait leur conduite, les nations voisines s’apercevaient bien
qu’ils étaient aussi peu disposés à supporter l’offense qu’à offenser
eux-mêmes. Marc-Aurèle employa contre les Germains et les Parthes ces forces
redoutables qu’Adrien et son successeur s’étaient contentés de déployer autour
de leurs frontières. Les attaques des Barbares provoquèrent le ressentiment de
ce prince philosophe : forcé de prendre les armes pour se défendre, Marc-Aurèle
remporta, par lui-même ou par ses généraux, plusieurs victoires sur l’Euphrate
et sur le Danube [41] .
Examinons maintenant les établissements militaires de l’empire romain. Il est
important d’observer comment ils en ont assuré pendant si longtemps la tranquillité
et les succès.
Dans les beaux temps de la république, l’usage des armes
était réservé à cette classe de citoyens, qui avaient une patrie à aimer, un
patrimoine à défendre, empereurs et qui, participant à l’établissement des lois
trouvaient leur intérêt comme leur devoir à les faire respecter. Mais à mesure
que l’étendue des conquêtes affaiblit la liberté publique, insensiblement le
talent de la guerre s’éleva jusqu’à la perfection d’un art, et s’abaissa au vil
rang d’un métier [42] .
Les légions, même au temps où les recrutements ne se faisaient plus que dans
les provinces les plus éloignées, furent toujours supposées n’être formées que
de citoyens romains Ce titre était regardé ou comme la distinction
naturellement attachée à la condition de soldat, ou comme la récompense de ses
services ; mais on s’arrêtait plus particulièrement au mérite essentiel de
l’âge, de la force et de la taille militaire [43] .
Dans
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