Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
embrassaient tout ce qui peut donner de la
forcé au corps, de la souplesse aux membres et de la grâce aux mouvements. On
apprenait soigneusement aux soldats à marcher, à courir, à sauter, à nager, à
porter de lourds fardeaux, à manier toutes sortes d’armes offensives et
défensives, à former un grand nombre d’évolutions, et à exécuter au son de la
flûte la danse pyrrhique ou militaire [50] .
Au sein de la paix, les troupes romaines se familiarisaient avec la
guerre : selon l’observation d’un ancien historien qui avait combattu
contre elles, l’effusion du sang était la seule différence que l’on remarquât
entre un champ de bataille et un champ d’exercice [51] . Les plus habiles
généraux, les empereurs même, encourageaient par leur présence et par leur
exemple, ces études militaires ; souvent Trajan et Adrien daignèrent instruire
eux-mêmes les soldats les moins expérimentés, récompenser les plus habiles, et
quelquefois disputer avec eux le prix de la force ou de l’adresse [52] . Sous le règne de
ces princes, la tactique fut cultivée avec succès ; et tant que l’empire
conserva quelque vigueur, leurs institutions militaires furent respectées comme
le modèle le plus parfait de la discipline romaine.
Neuf siècles de guerre avaient insensiblement introduit
plusieurs changements dans le service, et l’avaient perfectionné. Les légions
décrites par Polybe [53] ,
et commandées par les Scipions, différaient essentiellement de celles qui
contribuèrent aux victoires de César, ou défendirent l’empire, d’Adrien et des
Antonins. Nous rapporterons en peu de mots ce qui constituait la légion
impériale [54] .
L’infanterie pesamment armée, qui en faisait la principale force [55] , était divisée en
dix cohortes et en cinquante-cinq compagnies, sous le commandement d’un pareil
nombre de tribuns et de centurions. Le poste d’honneur et la garde de l’aigle
appartenaient à la première cohorte, composée de mille cent cinq soldats,
choisis parmi les plus estimés pour la valeur et pour la fidélité. Les neuf
autre cohortes en avaient chacune cinq cent cinquante-cinq, et tout le corps de
l’infanterie d’une légion montait à six mille cent hommes. Leurs armes étaient
uniformes et admirablement adaptées à la nature de leur service : ils
portaient un casque ouvert surmonté d’une aigrette fort élevée, une cuirasse ou
une cotte de mailles et des bottines, et ils tenaient à leur bras, gauche un
grand bouclier d’une forme ovale et concave, long de quatre pieds, large de
deux et demi, fait d’un bois léger, couvert d’une peau de bœufs et revêtu de
fortes plaques d’airain. Outre un dard léger, le soldat légionnaire, balançait
dans sa main droite ce javelot formidable appelé pilum , dont la longueur
était de six pieds, et qui se terminait en une pointe d’acier de dix-huit
pouces, taillée en triangle [56] .
Cette armé était bien inférieure à nos armes à feu, puisqu’elle ne pouvait
servir qu’une seule fois, et à la distance seulement de dix où douze pas :
cependant, lorsqu’elle était lancée par une main ferme et adroite, il n’y avait
point de bouclier en état de résister à sa force, et aucune cavalerie n’osait
se tenir à sa portée. A peine le Romain avait-il jeté son javelot, qu’il
s’élançait avec impétuosité sur l’ennemi, l’épée à la main. Cette épée était
une lame d’Espagne, courte, d’une trempe excellente, à double tranchant, et
également propre à frapper et à percer, mais le soldat était instruit à
préférer cette dernière façon de s’en servir, comme découvrant moins son corps
et faisant en même temps à son adversaire une blessure plus dangereuse [57] . La légion était
ordinairement rangée sur huit lignes de profondeur, et les files, aussi bien
que les rangs, étaient toujours à la distance de trois pieds l’une de l’autre [58] . Des troupes
accoutumées à conserver un ordre si distinct dans toute l’étendue d’un large
front et dans l’impétuosité d’une charge rapide, pouvaient exécuter tout ce
qu’exigeaient d’elles les événements de la guerre et l’habileté du général. Le
soldat avait un espace libre pour ses armes et pour ses divers mouvements, et
les intervalles étaient ménagés de manière à pouvoir y faire passer les
renforts nécessaires pour secourir les combattants épuisés [59] . La tactique des
Grecs et des Macédoniens avait pour base des
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