Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
toutes les levées de troupes, on accordait avec raison la préférence aux
climats du nord sur ceux du midi : on cherchait dans les compagnes, plutôt que
dans les villes, des hommes brisés à la fatigue des armes ; il était à
présumer que les travaux pénibles des charpentiers, des forgerons et des
chasseurs, donneraient plus de vigueur et de force que les occupations
sédentaires qui contribuent au luxe [44] .
Lors même que le droit de propriété ne fut plus un titre pour être employé dans
les armées, les troupes des empereurs romains continuèrent, pour la plupart,
d’être commandées par des officiers d’une naissance et d’une éducation
honnêtes ; mais les soldats, semblables aux troupes mercenaires de
l’Europe moderne, étaient tirés de la classe la plus vile et souvent la plus
corrompue.
La vertu politique que les anciens appelaient patriotisme ,
prend sa source dans la ferme conviction que notre intérêt est intimement lié à
la conservation et la prospérité du gouvernement libre auquel nous participons.
Une telle persuasion avait rendu les légions de la république romaine presque
invincibles, mais elle ne pouvait faire qu’une bien faible impression sur les
esclaves mercenaires d’un despote. Ce principe une fois détruit on y suppléa
par d’autres motifs d’une nature bien différente, mais dont la force était
prodigieuse, la religion et l’honneur. Le paysan ou le citadin se pénétrait de
cette utile opinion qu’en prenant les armes, il s’attachait à une profession
noble, dans laquelle son avancement et sa réputation dépendaient de son
courage, et que, bien que les exploits d’un simple soldat échappent souvent à
la renommée, il était en son pouvoir de couvrir de gloire ou de honte la
compagnie, la légion, l’armée même dont il partageait les triomphes. En le
recevant au service, on exigeait de lui un serment auquel une foule de
circonstances concouraient à donner une grande solennité. Il jurait de ne
jamais quitter son étendard, de soumettre sa propre volonté aux ordres de ses
commandants, et de sacrifier sa vie pour la défense de l’empereur et de
l’empire [45] .
L’attachement des troupes romaines à leurs drapeaux leur était inspiré par l’influence
réunie de la religion et de d’honneur. L’aigle doré qui brillait à la tête de
la légion, était l’objet du culte le plus sacré, et l’on voyait autant
d’impiété que de honte dans la lâcheté de celui qui abandonnait au moment du
danger ce signe respectable [46] .
Ces motifs, qui tiraient leur force de l’imagination, .étaient soutenus par des
craintes et des espérances plus réelles : une paye régulière, des
gratifications, une récompense assurée après le temps limité du service,
encourageaient les soldats à supporter les fatigues de la vie militaire [47] . D’un autre côté,
la lâcheté et la désobéissance ne pouvaient échapper aux plus sévères
châtiments. Les centurions avaient le droit de frapper les coupables, et les
généraux de les punir de mort. Les troupes élevées dans la discipline romaine
avaient pour maxime invariable que tout bon soldat devait beaucoup plus
redouter son officier que l’ennemi. Des institutions aussi sages contribuèrent
à affermir la valeur des troupes et à leur inspirer une docilité que ne purent
jamais acquérir des Barbares impétueux, qui ne connaissaient aucune discipline.
La valeur n’est qu’une vertu imparfaite sans la science et
sans la pratique. Les Romains étaient si persuadés de cette vérité, que le nom
d’une armée, dans leur langue, venait d’un mot qui signifiait exercice [48] . En effet, les
exercices militaires étaient l’important et continuel objet de leur
discipline : les recrues et les jeunes soldats étaient régulièrement
exercés le matin et le soir ; et les vétérans, malgré leur âge, malgré une
connaissance profonde de leur art, étaient obligés de répéter tous les jours ce
qu’ils avaient appris dès leur plus tendre jeunesse. Dans les quartiers
d’hiver, on élevait de vastes appentis, afin que les exercices des soldats ne
fussent point interrompus par les rigueurs de la saison. Dans ces imitations de
la guerre, on avait soin de leur faire prendre des armes deux fois plus
pesantes que celles dont on se servait dans une action réelle [49] . Une description
exacte des exercices des Romains n’entre point dans le plan de cet ouvrage ;
nous remarquerons seulement qu’ils
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