Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
l’Italie ou de quelque province latine [1364] .
A sa persuasion, la plus grande partie de la secte abandonna la loi de Moïse,
qu’elle avait suivie constamment pendant plus d’un siècle. En sacrifiant ainsi
leurs coutumes et leurs préjugés, les nazaréens obtinrent l’entrée libre de la
colonie d’Adrien, et cimentèrent plus fermement leur union avec l’Église
catholique [1365] .
Lorsque le nom et les honneurs de l’Église de Jérusalem
eurent été rétablis sur le mont Sion, on accusa de schisme et d’hérésie les
restes obscurs des nazaréens qui avaient refusé d’accompagner leur évêque
latin. Ils conservèrent toujours leur première habitation de Pella, d’où ils
se répandirent dans les villages situés aux environs de Damas ; ils
formèrent une petite Église à Bœrée, aujourd’hui Alep en Syrie [1366] . Le nom de
nazaréen parut trop honorable pour ces juifs chrétiens ; ils furent bientôt
appelés ébionites [1367] ,
terme de mépris, qui marquait la pauvreté prétendue de leur esprit, aussi bien
que de leur condition [1368] .
Peu d’années après le retour de l’Église de Jérusalem, il s’éleva une question
qui devint un sujet de doute et de controverse : il s’agissait de décider si un
homme qui reconnaissait sincèrement Jésus pour le Messie, mais qui persistait
toujours à observer la loi de Moïse, pouvait espérer d’être sauvé. L’humanité
de saint Justin martyr le faisait pencher pour l’affirmative ; et, tout en
s’exprimant avec la défiance la plus réservée, il osa prononcer en faveur de
ces chrétiens imparfaits, pourvu qu’ils se contentassent de pratiquer les
cérémonies de Moïse, sans prétendre que l’usage dût en être général ou
nécessaire [1369] .
Mais lorsqu’on pressa saint Justin de déclarer le sentiment de l’Église, il
avoua que plusieurs chrétiens orthodoxes, non seulement privaient leurs frères
judaïsants de l’espoir du salut, mais encore que, dans les devoirs ordinaires
de l’amitié, de l’hospitalité et de la vie civile, ils refusaient d’avoir avec
eux aucune communication [1370] .
L’opinion la plus rigoureuse l’emporta sur la plus douée, comme on devait
naturellement s’y attendre, et les disciples de Moïse furent à jamais séparés
de ceux de Jésus-Christ. Les malheureux ébionites, rejetés d’une religion comme
apostats, et de l’autre comme hérétiques, se trouvèrent forcés de prendre un
caractère plus décidé ; et, quoiqu’on puisse apercevoir jusque dans le
quatrième siècle quelques traces de cette ancienne secte, elle se perdit
insensiblement, dans la synagogue ou dans l’Église [1371] .
Tandis que l’Église orthodoxe tenait un juste milieu entre
une vénération excessive et un mépris déplacé pour la loi de Moïse, les divers
hérétiques prenaient les extrêmes opposés, et s’égaraient également dans les routes
de l’erreur et de l’extravagance. La vérité reconnue de la religion juive avait
persuadé aux ébionites qu’elle ne pouvait jamais être abolie ; ses
imperfections prétendues donnèrent naissance à l’opinion non moins téméraire
des gnostiques, qu’elle n’avait jamais été instituée par la sagesse de Dieu. Il
est contre l’autorité de Moïse et des prophètes quelques objections qui se
présentent trop facilement à l’esprit sceptique ; quoiqu’elles n’aient
pour principes que notre ignorance sur une antiquité reculée, et la faiblesse
de notre esprit incapable de se former une idée juste de l’économie divine.
C’était sur ces objections que s’appuyait la vaine science des gnostiques [1372] ; et qu’ils
insistaient vivement. Ennemis, pour la plupart, des plaisirs des sens, ces
hérétiques censuraient avec aigreur la polygamie des patriarches, les
galanteries de David et le sérail de Salomon. Comment concilier, disaient-ils,
la conquête de la terre de Canaan, et la destruction d’un peuple sans défiance,
avec les notions communes de la justice et de l’humanité ? Lorsqu’ils
jetaient ensuite les yeux sur la liste sanguinaire de meurtres, d’exécutions et
de massacres qui souillent presque à chaque page les annales des Juifs, ils
reconnaissaient que les Barbares de la Palestine n’avaient pas eu plus de
compassion pour leurs amis et pour leurs compatriotes, que pour leurs ennemis
idolâtres [1373] .
Passant ensuite des sectateurs de la loi à la loi elle-même, ils prétendaient
qu’une religion qui consistait
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