Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
seulement en sacrifices sanglants, en cérémonies
puériles, et dont toutes les punitions et toutes les récompenses étaient
temporelles ne pouvait ni inspirer l’amour de la vertu, ni réprimer
l’impétuosité des passions. Les gnostiques s’efforçaient de jeter un ridicule
sur la narration de l’écrivain sacré, lorsqu’il décrit la création du monde et
la chute de l’homme ; ils traitaient avec une dérision profane le repos de
la Divinité après six jours de travail, la côte d’Adam, le jardin d’Éden, les
arbres de la vie et de la science, le serpent parlant, le fruit défendu, et la
condamnation éternelle prononcée contre le genre humain pour l’offense légère
de ses premiers parents [1374] .
Les gnostiques osaient même représenter le Dieu d’Israël comme un être sujet à
l’erreur et à la passion, capricieux dans sa faveur, implacable dans sa
vengeance, bassement jaloux de son culte religieux, n’accordant ses bienfaits
qu’à un seul peuple, et n’étendant point sa providence au-delà de cette vie
passagère. Ils ne pouvaient apercevoir dans une pareille image aucun des traits
qui caractérisent le père commun, le maître sage et tout-puissant de l’univers [1375] . Ils
convenaient que la religion du peuple juif était en quelque sorte, moins
criminelle que l’idolâtrie des autres nations ; mais leur doctrine avait
pour base la mission de Jésus-Christ. Ils enseignaient qu’il devait être adoré
comme la première et la plus brillante émanation de la Divinité et qu’il avait
paru sur la terre pour dissiper les différentes erreurs des hommes, et pour
révéler un nouveau système de vérité et de perfection. Par une
condescendance très singulière, les plus savants pères de l’Église ont eu
l’imprudence d’admettre les sophismes de cette secte. Avouant que le sens
littéral des divines Écritures répugne à tous les principes de la raison et de
la foi, ils se croient en sûreté et invulnérables derrière le large voile de
l’allégorie, qu’ils ont soin d’étendre sur toutes les parties délicates du
système de Moïse [1376] .
On a observé d’une manière plus ingénieuse que la pureté
primitive de l’Église n’avait jamais été violée par le schisme ni par
l’hérésie, avant le règne de Trajan ou d’Adrien [1377] , cent ans
environ après la mort de Jésus-Christ [1378] .
Disons plutôt que, durant cette période, les disciples du Messie donnèrent à
la foi et à la pratique une latitude que ne se permirent jamais les fidèles des
siècles suivants. A mesure que les limités de la communion se resserrèrent
insensiblement, et que le parti dominant exerça son autorité spirituelle avec
plus de rigueur, quelques-uns de ses membres les plus respectables, sommés de
renoncer leurs opinions particulières, n’en devinrent que plus hardis à les
soutenir, à poursuivre les conséquences de leurs faux principes, et à lever
ouvertement l’étendard de la révolte contre l’unité de l’Église. Les gnostiques
se distinguèrent surtout par leur politesse, par leur savoir et par leur
opulence. L’orgueil leur fit prendre la dénomination générale de gnostiques ,
qui exprimait une supériorité de connaissances : peut-être aussi ce nom leur
fut-il donné ironiquement par des adversaires envieux. Cette secte, composée
presque toute de familles païennes, parait avoir eu principalement pour
fondateurs des habitants de la Syrie ou de l’Égypte, contrées où la chaleur du
climat dispose et l’esprit et le corps à une dévotion indolente et contemplative.
Les gnostiques mêlaient à la foi de Jésus-Christ plusieurs dogmes sublimes,
mais obscurs, tirés de la philosophie orientale et même de la religion de
Zoroastre, concernant l’éternité de la matière, l’existence de deux principes,
et la hiérarchie mystérieuse du monde invisible [1379] . Dès qu’ils se
furent élancés dans ce vaste abîme, ils prirent pour guide une imagination
désordonnée ; et comme les sentiers de l’erreur sont variés et infinis, les
gnostiques, se trouvèrent imperceptiblement divisés en plus de cinquante sectes
particulières [1380] ,
dont les principales paraissent avoir été les basilidiens, les valentiniens,
les marcionites, et dans un temps moins reculé, les manichéens. Chacune de ces
sectes pouvait se vanter d’avoir ses évêques et ses congrégations, ses docteurs
et ses martyrs [1381] .
Au lieu des quatre Évangiles adoptés par
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