Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
au temps enfin où des récompenses et des punitions temporelles
étaient les suites immédiates de leur piété ou de leur désobéissance, ils se
révoltaient, sans cesse contre la majesté visible de leur divin roi ; ils
plaçaient les idoles des nations dans le sanctuaire de Jéhovah ; enfin ils
imitaient toutes les cérémonies fantastiques pratiquées sous les tentes des
Arabes, ou dans les villes de la Phénicie [1352] .
A mesure que le ciel, justement irrité, retira sa protection à des ingrats,
leur foi acquit un nouveau degré de vigueur et de pureté. Les contemporains de
Moïse et de Josué avaient contemplé avec indifférence les miracles les plus
étonnants : dans un temps moins reculé, sous le poids des calamités les plus
cruelles, la foi des Juifs en ces mêmes prodiges, les préserva de la contagion universelle
de l’idolâtrie ; et, ce qui est entièrement contraire à la marche générale
de l’esprit humain, ce peuple singulier semble avoir cru plus fermement et avec
plus de promptitude les traditions de ses premiers pères que les témoignages de
ses propres sens [1353] .
La religion juive renfermait tout ce qui pouvait servir à sa
défense ; mais elle n’était point destinée à faire des conquêtes, et
probablement le nombre des prosélytes ne surpassa jamais beaucoup celui des
apostats. Les promesses divines avaient été originairement faites à une seule
famille ; c’était à elle qu’avait été prescrite la pratique distinctive de la
circoncision. Lorsque la postérité d’Abraham eut multiplié comme les sables de
la mer, la Divinité qui lui avait dicté de sa bouche un système de lois et de
cérémonies, se déclara le dieu propre, et en quelque sorte national d’Israël ;
et elle parut toujours extrêmement jalouse de séparer son peuple favori d’avec
le reste des hommes. La conquête de la terre de Canaan fut accompagnée de tant
de circonstances merveilleuses, et d’une si grande effusion de sang, que les
Juifs restèrent dans un état d’inimitié irréconciliable avec tous leurs
voisins. Les vainqueurs avaient reçu ordre d’exterminer quelques-unes des
tribus les plus idolâtres : les faiblesses de l’humanité retardèrent rarement
l’exécution des volontés de l’Être suprême. Les mariages et les alliances avec
les autres nations ne leur étaient pas permis. Ils ne pouvaient recevoir les
étrangers dans la congrégation ; et cette défense quelquefois perpétuelle,
s’étendait presque toujours à la troisième, à la septième, ou même à la dixième
génération. L’obligation de prêcher aux gentils la foi de Moïse n’avait jamais
été prescrite comme un précepte de la loi, et les Juifs ne pensèrent point à s’imposer
volontairement un pareil devoir. Lorsqu’il s’agissait d’admettre de nouveaux
citoyens, ce peuple insociable suivait plutôt l’orgueilleuse vanité des Grecs
que la politique généreuse des Romains. Les descendants d’Abraham, fiers de
l’opinion qu’ils avaient seuls hérité de l’alliance, craignaient de diminuer la
valeur de leur patrimoine en le partageant trop facilement avec les étrangers
de la terre. Une plus grande communication avec le genre humain étendit leurs
connaissances sans guérir leurs préjugés ; et toutes les fois que le dieu
d’Israël acquérait de nouveaux adorateurs, il en était bien plus redevable à
l’humeur inconstante du polythéisme qu’au zèle actif de ses propres
missionnaires [1354] .
La religion de Moïse semble avoir été instituée pour une contrée particulière,
aussi bien que pour une seule nation. Si les Juifs eussent exécuté
rigoureusement le précepte qui ordonnait à tous les mâles de se présenter trois
fois dans l’année, devant Jéhovah, il leur eût été impossible de se répandre
au-delà de la terre promise [1355] .
A la vérité, la destruction du temple de Jérusalem leva cet obstacle ; mais la
plus grande partie de la religion mosaïque fut enveloppée dans ses ruines. Les
païens avaient été étonnés pendant longtemps du bruit étrange qui s’était
répandu que cet édifice ne renfermait qu’un sanctuaire vide [1356] . Lorsque la
nation juive eut été dispersée, ils furent en peine de découvrir quel pouvait
être l’objet, quels pouvaient être les instruments d’un culte qui manquait de
temples et d’autels, de prêtres et de sacrifices. Cependant les Juifs, dans
l’état même d’abaissement où ils avaient été réduits, ne
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