Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
renoncèrent pas à des
privilèges exclusifs et qui flattaient leur orgueil : loin de rechercher
la société des étrangers, ils l’évitèrent soigneusement, et ils observaient
alors avec une rigueur inflexible les articles de la loi qu’il était en leur
pouvoir de pratiquer. Des distinctions particulières de jours, d’aliments, et
une foule d’observances habituelles, quoique pénibles, combattaient trop,
ouvertement les coutumes et les préjugés des autres peuples, pour ne pas
exciter leur dégoût et leur aversion. La circoncision, pratique douloureuse,
quelquefois même accompagnée de danger, était seule capable d’éteindre la
ferveur du prosélyte [1357] au moment où il se présentait à la porte de la synagogue.
Ce fut dans ces conjonctures que le christianisme parut sur
la terre, armé de toute la rigueur de la loi mosaïque, et débarrassé du poids
de ses fers. Le nouveau système prescrivait, aussi formellement que l’ancien,
un zèle exclusif pour la vérité de la révélation et l’unité de Dieu. Tout ce
que la religion apprenait alors aux hommes concernant la nature et les desseins
de l’Être suprême, servait à augmenter leur vénération pour cette doctrine
mystérieuse. L’autorité divine de Moïse et des prophètes était admise, et même
établie comme la base la plus solide du christianisme. Depuis le commencement
du monde, une suite non interrompue de prédictions avait annoncé et préparé la
venue si désirée du Sauveur, quoique, pour se conformer aux idées grossières
des Juifs, le Messie eût plus souvent été représenté sous la forme d’un roi et
d’un conquérant que sous celle d’un prophète, d’un martyr et du fils de Dieu.
Par son sacrifice expiatoire, les sacrifices imparfaits du temple furent à la
fois consommés et abolis. A la loi ancienne qui consistait seulement en types
et en figures, succéda un culte pur, spirituel, également adapté tous les
climats et à tous les états du genre humain. On substitua à l’initiation par le
sang l’initiation par l’eau. La faveur divine, au lieu de n’être accordée qu’à
la postérité d’Abraham, fut universellement promise à l’homme libre et à
l’esclave, au Grec et au Barbare, au Juif et au gentil. Les membres de l’Église
chrétienne jouissaient pour toujours, sans partage, de tous les privilèges qui,
en élevant le prosélyte jusqu’au ciel, pouvaient exalter sa dévotion, assurer
son bonheur, ou même satisfaire cet orgueil secret, qui, sous l’apparence de la
dévotion, s’insinue dans le cœur humain. Mais en même temps on permit à tous
les hommes, on les sollicita même d’accepter une distinction glorieuse, que non
seulement on leur offrait comme une faveur, mais qu’ils étaient forcés
d’accepter comme une obligation. Le devoir le plus sacré d’un nouveau converti
fut de communiquer à ses amis et à ses parents le trésor inestimable qu’il
avait reçu, et de les prévenir des suites funestes d’un refus qui serait
sévèrement puni, comme une désobéissance criminelle à la volonté d’un dieu
bienfaisant, mais dont la toute puissance était redoutable.
Ce ne fut pas cependant sans peine que l’Église secoua le
joug de la synagogue, et cet affranchissement exigea un temps assez long. Les
Juifs convertis reconnaissaient dans la personne de Jésus le Messie annoncé par
les anciens oracles ; ils le respectaient comme un divin prophète, qui avait
enseigné la religion et la vertu ; mais ils restèrent opiniâtrement
attachés aux cérémonies de leurs ancêtres, et ils voulurent les faire adopter
aux gentils, qui augmentaient continuellement le nombre des fidèles. Ces
chrétiens judaïsants semblent avoir trouvé des arguments assez plausibles dans
l’origine céleste de la loi mosaïque, et dans les perfections immuables de son
grand auteur. Ils prétendaient que si l’Être qui est le même dans toute l’éternité,
avait eu dessein d’abolir ces rites sacrés qui avaient servi à distinguer son
peuple choisi, ce second acte de sa volonté aurait été annoncé d’une manière
aussi claire et aussi solennelle que le premier ; que, dans ce cas, la
religion de Moïse, au lieu de ces déclarations fréquentes qui en supposent ou
qui en assurent la perpétuité, aurait été représentée comme un plan provisoire
destiné à subsister seulement jusqu’à ce que le Messie fût venu enseigner aux
hommes une foi et un culte plus parfaits [1358] .
Le Messie
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