Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
simplement en une doctrine
spéculative, professée dans des écoles ou prêchée dans les temples. Les
divinités et les rites innombrables du polythéisme étaient étroitement liés à
tous les détails de la vie publique ou privée : les plaisirs, les
affaires, rappelaient à chaque instant ces cérémonies, et il était presque
impossible de ne pas les observer, à moins de fuir en même temps tout commerce
avec les hommes, et de renoncer aux devoirs et aux amusements de la société [1387] . Les actes les
plus solennels de la guerre et de la paix étaient toujours préparés ou conclu
par les sacrifices auxquels le magistrat, le sénateur et le soldat, ne
pouvaient se dispenser de présider ou de participer [1388] . Les spectacles
publics formaient une partie essentielle de la dévotion riante des païens. Ils
se persuadaient que leurs divinités acceptaient, comme l’offrande la plus
agréable, ces jeux que le prince et le peuple célébraient dans les fêtes
instituées en leur honneur [1389] .
Le fidèle, qui fuyait avec une pieuse horreur les abominations du cirque ou du
théâtre, se trouvait dans chaque repas exposé à des embûches infernales, toutes
les fois que ses amis, invoquant les dieux propices, versaient des libations [1390] , et formaient
des vœux pour leur bonheur réciproque. Lorsque l’épouse, enlevée d’entre les
bras de ses parents, franchissait, avec une répugnance affectée, le seuil de sa
nouvelle demeure [1391] ,
accompagnée de tout le cortège de l’hymen ; lorsque la pompe funèbre s’avançait
lentement vers le bûcher [1392] ,
dans ces importantes occasions, le chrétien, tremblant de se rendre coupable du
crime attaché a des cérémonies impies, se trouvait forcé d’abandonner les
personnes qu’il chérissait le plus. Toutes les professions, tous les métiers
qui contribuaient à former, ou à décorer les idoles, étaient déclarés infectés
du poison de l’idolâtrie [1393] :
sentence sévère, puisqu’elle dévouait aux tourments éternels cette portion si
considérable de la société qui exerce les arts libéraux et mécaniques. Si nous
jetons les yeux sur les restes innombrables de l’antiquité, outre les images
des dieux et les instruments sacrés de leur culte, nous voyons que les maisons,
les habits et les meubles des païens, devaient leurs plus riches ornements aux
formes élégantes et aux fictions agréables consacrées par l’imagination des
Grecs [1394] .
C’était aussi dans cette origine impure qu’avaient pris naissance la musique,
la peinture, l’éloquence et la poésie. Dans le langage des pères de l’Église,
Apollon et les Muses sont les organes de l’esprit infernal ; Homère et
Virgile en sont les principaux ministres ; et cette mythologie brillante qui remplit,
qui anime les productions de leur génie, est destinée à célébrer la gloire des
démons. La langue même de la Grèce et celle de Rome abondaient en expressions
familières, mais impies, que le chrétien imprudent courait le risque de
prononcer trop légèrement, ou d’entendre avec trop de patience [1395] .
Les tentations dangereuses, qui se tenaient de tous côtés en
embuscade pour surprendre le fidèle, l’attaquaient les jours de fêtes publiques
avec une violence redoublée. Ces institutions augustes avaient été disposées et
arrangées, dans l’année, avec tant d’art, que la superstition prenait toujours
le masque du plaisir et souvent celui de la vertu [1396] . Chez les
Romains, quelques-unes des fêtes les plus sacrées avaient pour objet de
célébrer les calendes de janvier, en prononçant solennellement des vœux pour la
félicité publique et pour le bonheur des citoyens ; de rappeler le souvenir des
morts, et d’attirer les regards des dieux sur la génération présente ; de poser
les bornes invariables des propriétés ; de saluer au retour du printemps,
les puissances vivifiantes qui répandent la fécondité ; de perpétuer ces deux
ères mémorables de Rome, la fondation de la ville et celle de la république,
et de rétablir durant la licence bienfaisante des saturnales, l’égalité primitive
du genre humain. On peut juger quelle devait être l’horreur des chrétiens pour
ces cérémonies impies, par la scrupuleuse délicatesse qu’ils avaient montrée
dans une occasion moins alarmante. Aux jours d’allégresse publique, les anciens
avaient coutume d’orner leurs portes de lampes et de branches de laurier, et de
ceindre
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