Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
positifs de ne point
exposer les troupes. Amida fut prise ; ceux de ses braves défenseurs qui
échappèrent au fer des Barbares, tombèrent dans le camp des Romains sous celui
des bourreaux ; et Ursicinus lui-même, après une enquête humiliante et
partiale, fut puni par la perte de son grade de la mauvaise conduite de
Sabinien. Mais le général, injustement condamné osa dire à l’empereur que si de
pareilles maximes continuaient à prévaloir dans les conseils, toute sa
puissance suffirait difficilement à défendre ses provinces orientales des
invasions de l’ennemi ; et Constance éprouva bientôt la vérité de cette
prédiction. Lorsque l’empereur eut subjugué ou pacifié les Barbares du Danube,
il avança à marches lentes vers l’Orient ; et, après avoir douloureusement
contemplé les ruines encore fumantes d’Amida, il forma, avec une puissante
armée le siége de Bezabde. L’effort des plus énormes béliers fut employé,
contre ses murs, et la place fut réduite à la dernière extrémité : mais rien me
pût vaincre le courage patient et intrépide de la garnison ; l’approche de la
saison pluvieuse obligea enfin l’empereur à lever le siège, et à se retirer
honteusement dans ses quartiers d’hiver à Antioche [2139] . La vanité de
Constance et toute l’imagination de ses courtisans étaient fort embarrassées à
trouver dans la guerre de Perse la matière d’un panégyrique, tandis que Julien,
à qui il avait confié les Gaules, remplissait l’univers de sa gloire, par le
récit simple et abrégé de ses exploits.
Dans l’aveugle acharnement de la discorde civile, Constance
avait abandonné aux Barbares de la Germanie les contrées de la Gaule qui
obéissaient encore à son rival. Un nombreux essaim de Francs et d’Allemands
furent invités à passer le Rhin, par des présents, des promesses, l’espoir du
pillage et le don de toutes les terres qu’ils pourraient envahir [2140] . Mais
l’empereur, qui, dans un embarras momentané, avait eu l’imprudence d’exciter
l’avidité de ces Barbares, sentit bientôt combien il était difficile de faire
renoncer des alliés si dangereux à des contrées dont on leur avait fait
connaître la richesse. Peu soigneux de distinguer les sujets fidèles des
révoltés, ces brigands indisciplinés traitaient comme leurs ennemis naturels
tous ceux des habitants de l’empire dont ils convoitaient les possessions.
Quarante-cinq cités florissantes, Tongres, Cologne, Trèves, Worms, Spire,
Strasbourg, etc., sans compter un beaucoup plus grand nombre d’autres villes et
villages, furent ravagées et la plupart réduites en cendres. Les Barbares de la
Germanie, fidèles aux usages de leurs ancêtres, ne pouvaient consentir à se
voir renfermer entre des murs ; ils leur prodiguaient les noms odieux de
sépulcres, de prisons, et, fixant leurs habitions indépendantes sur les bords
des rivières du Rhin, de la Meuse, et de la Moselle, ne connaissaient d’autres
fortifications, dans les moments de danger, que de grands arbres renversés et
jetés à la hâte au travers des routes qu’ils voulaient fermer. Les Allemands
s’étaient fixés dans les contrées qui forment actuellement l’Alsace et la
Lorraine ; les Francs occupaient l’île des Bataves et une grande partie du
Brabant, connue alors sous le nom de Toxandrie [2141] , et qu’on peut
regarder comme le berceau de la monarchie française [2142] . Des sources du
Rhin jusqu’à son embouchure, les conquêtes des Germains s’étendaient vers
l’occident de cette rivière environ sur quarante milles de pays occupé par des
colonies de leur nation et portant le même nom ; mais les pays qu’ils avaient
dévastés, étaient trois fois plus étendus que leurs conquêtes. Jusques à une
distance beaucoup plus éloignée, toutes les villes ouvertes des Gaulois étaient
désertes, et les habitants des villes fortes, qui, se confiant dans leurs
remparts par leur vigilance, n’avaient pas abandonné leurs demeures, ne
pouvaient plus recueillir de grains que sur les terres encloses dans l’enceinte
de leurs murs. Les légions, diminuées, sans paye et sans vivres, sans armes et
sans discipline, tremblaient à l’approche et même au seul nom des Babares.
Ce fut dans ces temps malheureux qu’on choisit un jeune
prince sans expérience pour délivrer et gouverner les provinces de la Gaule, ou
plutôt, comme Julien le dit lui-même, pour y étaler la vaine image de la
grandeur impériale.
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