Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
forces dispersées, et, profitant d’une nuit obscure et
pluvieuse, attaquèrent avec impétuosité l’arrière-garde des Romains. Avant
d’avoir pu réparer le désordre inévitable dans cette surprise, Julien perdit
deux légions qui furent taillées en pièces, et il apprit, par sa propre
expérience, que la vigilance et la circonspection sont les deux plus importants
préceptes de l’art de la guerre. Une seconde action plus heureuse rétablit et
assura sa réputation militaire ; mais comme l’agilité des Barbares les mettait
à l’abri de la poursuite, sa victoire ne fût ni sanglante ni décisive. Il
s’avança cependant jusqu’aux bords du Rhin, contempla les ruines de Cologne, se
convainquit des difficultés de cette guerre ; et, à l’approche de l’hiver, se
retira mécontent de la cour, de son armée et de ses propres succès [2146] . La puissance
de l’ennemi était encore entière. A peine Julien avait-il séparé ses troupes et
pris ses quartiers à Sens, dans le centre de la Gaule, qu’il fut environné et
assiégé par une nombreuse armée de Germains. Réduit dans cette extrémité, aux
ressources de son propre génie, il suppléa, par sa prudente intrépidité, à la
faiblesse de la ville et de la garnison ; et, après trente jours de siége, les
Barbares se retirèrent irrités de leur peu de succès.
Fier et satisfait de ne devoir sa délivrance qu’à son épée,
Julien ne pouvait cependant sans amertume se voir abandonné, et trahi de ceux
qui obligés par les lois de l’honneur et de la fidélité à le défendre,
méditaient peut-être secrètement sa destruction. Marcellus, maître général de
la cavalerie dans les Gaules, interprétait à la rigueur les ordres d’une cour
ombrageuse. Indifférent à la dangereuse situation de Julien, il avait défendu
aux troupes qu’il commandait de donner aucun secours à la ville de Sens. Si le
César eût souffert en silence une insulte si dangereuse, sa personne et son autorité,
seraient devenues l’objet du mépris général ; et si cette action criminelle
n’eût pas été punie, l’empereur aurait confirmé des soupçons qu’avait trop
autorisés sa conduite passée envers les princes de la maison Flavienne. On
rappela Marcellus, sans user contre lui d’aucune autre mesure de sévérité [2147] , et le
commandement de la cavalerie fut donné à Sévère, qui à la fidélité joignait la
valeur et l’expérience. Capable également de conseiller avec respect et
d’exécuter avec zèle, et sans répugnance à l’autorité suprême que, par les
soins de sa protectrice Eusebia, Julien parvint enfin à obtenir sur les armées
de la Gaule [2148] .
On adopta pour la campagne suivante un plan sage d’opérations. Julien lui-même,
à la tête du reste des vétérans et de quelques nouvelles levées que la cour
avait permises, pénétra hardiment dans les cantonnements des Germains ; il
rétablit avec soin les fortifications de Saverne dont la position avantageuse
pouvait également arrêter les incursions et intercepter la retraite de l’ennemi.
D’un autre côté, Barbatio, général d’infanterie, s’avançait de Milan avec une
armée de trente mille hommes, et, après avoir passé les montagnes, se préparait
à jeter un pont sur le Rhin aux environs de Bâle. On devait s’attendre que les
Allemands, serrés des deux côtes par les armées romaines, seraient bientôt
forcés d’évacuer les provinces de la Gaule, et s’empresseraient de marcher au
secours de leur pays natal ; mais l’espoir de la campagne fut perdu par
l’incapacité, la jalousie, ou par l’effet des instructions sécrètes qu’avait
reçues Barbatio, qui se comporta comme s’il eût été l’ennemi du César et
l’allié secret des Barbares. On peut attribuer à son manque d’intelligence
militaire la facilité avec laquelle il laissa passer et repasser, une troupe de
bandits presque devant les portes de son camp ; mais la perfidie lui fit brûler
un grand nombre de bateaux et toutes ses provisions superflues, dont l’armée
des Gaules avait le plus grand besoin, prouva évidemment ses criminelles
intentions. Les Germains méprisèrent un ennemi qui semblait ne pas pouvoir ou
ne pas vouloir les attaquer, et la retraite ignominieuse de Barbatio priva
Julien d’un secours sur lequel il avait compté. Il se vit abandonné à lui-même
dans une position où il ne pouvait rester sans danger, et dont il était
difficile de sortir sans honte
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