Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
Son éducation scolastique et solitaire l’avait beaucoup
plus familiarisé avec les livres qu’avec les armes, avec les auteurs de
l’antiquité qu’avec les mœurs des hommes de son siècle. Il ignorait
parfaitement la science pratique de la guerre et du gouvernement. Quand il
répétait gauchement quelque exercice militaire qu’il ne pouvait se dispenser
d’apprendre, il s’écriait en soupirant : Ô Platon ! Platon ! quelle
occupation pour un philosophe ! Cependant cette philosophie spéculative,
que sont trop disposés à mépriser les hommes livrés aux affaires, avait rempli
l’imagination de Julien des exemples les plus respectables, et son âme des
préceptes les plus généreux. Elle y avait empreint l’amour de la vertu, le
désir de gloire et le mépris de la mort. L’habitude de la tempérance et de la
frugalité, si recommandées dans les écoles, est bien plus essentielle encore
dans la discipline sévère d’un camp. Julien ne prenait de la nourriture et du
sommeil que ce qu’exigeaient les besoins de la nature. Rejetant avec dédain les
mets délicats destinés pour sa table, il satisfaisait son appétit avec la
ration grossière que recevait le moindre des soldats. Dans la plus grande
rigueur des hivers de la Gaule, il ne souffrait jamais qu’on allumât du feu
dans la chambre où il couchait. Après un sommeil court et interrompu, il se
levait souvent au milieu de la nuit de dessus un tapis étendu sur le plancher,
soit pour une dépêche pressée pour visiter ses rondes, ou pour ménager un
moment à ses études favorites [2143] .
Les préceptes d’éloquence qu’il appliquait précédemment à des sujets de pure
imagination, furent employés plus utilement à exciter ou à calmer les passions
d’une multitude armée ; et quoique l’étude de la littérature et les habitudes
de sa jeunesse l’eussent plus familiarisé avec les beautés de la langue
grecque, il avait cependant acquis une connaissance suffisante de la langue
latine [2144] .
Julien n’ayant jamais été destiné à occuper ni la place d’un juge ni celle d’un
législateur, il est probable qu’il s’était peu attaché à l’étude de la
jurisprudence romaine : mais ses études philosophiques lui avaient donné
un respect inflexible pour la justice, que tempéraient ses dispositions à la
clémence, la connaissance des principes généraux d’évidence et d’équité, et la faculté
de démêler avec patience les questions les plus sèches et les plus
embarrassantes. Le succès de ses desseins politiques et de ses opérations
militaires dépendait des circonstances et du génie de ceux auxquels il avait à
faire. L’homme instruit qui manque d’expérience est souvent embarrassé dans
l’application de la meilleure théorie ; mais il acquit cette science
indispensable par la vigueur active de son propre génie et par la sage
expérience de Salluste, officier d’un rang distingué, qui bientôt s’attacha
tendrement un prince si digne de son amitié et qui à la plus incorruptible
intégrité joignait le talent de faire entendre les vérités les plus sévères
sans jamais blesser la délicatesse de l’oreille d’un souverain [2145] .
Dès que Julien eut revêtu la pourpre à Milan, on l’envoya
dans la Gaule avec une faible suite de trois cent soixante soldats. Durant
l’hiver qu’il passa à Vienne dans une situation pénible et inquiétante, au
milieu des ministres que Constance avait chargés de diriger la conduite de son
cousin il apprit le siège et la délivrance d’Autin cette ville ancienne et
vaste, avec des murs en ruine et une garnison sans courage, fut sauvée par
l’intrépidité de quelques vétérans qui reprirent les armes pour défendre leurs
foyers. En partant d’Autun pour traverser les provinces gauloises, Julien
saisit la première occasion de signaler son courage. A la tête d’un petit corps
d’archers et de cavalerie pesante, il choisit de deux routes la plus courte,
mais la plus dangereuse et, tantôt en évitant, tantôt en poussant les Barbares
qui étaient maîtres de la campagne, il atteignit, après une marche honorable
autant qu’heureuse, le camp près de Reims où les troupes avaient ordre de
s’assembler. La présence du jeune prince ranima le courage expirant des soldats
et ils marchèrent de Reims à la poursuite de l’ennemi avec une confiance qui
pensa leur être fatale. Les Allemands, qui connaissaient parfaitement le pays,
rassemblèrent leurs
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