Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
les deux empires, et que, si son ambassadeur ne rapportait pas une
réponse satisfaisante, il était préparé à soutenir, dès le printemps suivant,
la justice de sa cause par la force de ses armes invincibles. Narsès,
naturellement rempli de politesse et de grâces, tâcha d’adoucir, autant que son
devoir le lui permettait, la hauteur de cette proposition [2126] . Le conseil
impérial, après avoir mûrement pesé le style et le contenu de la lettre,
renvoya l’ambassadeur avec la réponse suivante : Quoique Constance pût
légitimement désavouer des ministres qui avaient entamé une négociation sans
ses ordres positifs, il était disposé à conclure un traité juste et honorable.
Mais il regardait comme indécent et ridicule de proposer au seul et victorieux
possesseur de tout l’empire romain, des conditions qu’il avait rejetées avec
indignation dans un temps où sa puissance se renfermait dans les limites étroites
de l’Orient. Le sort des armes était sans doute incertain ; mais Sapor ne
devait pas oublier que si dans le cours de leurs nombreuses guerres, les
Romains avaient perdu quelques batailles, ils les avaient cependant terminées
toutes par la victoire . Peu de jours après le départ de Narsès, on envoya
trois ambassadeurs à la cour de Sapor, qui était déjà revenu de son expédition
de Syrie dans sa résidence ordinaire de Ctésiphon. Un comte, un notaire et un
sophiste, furent chargés de cette importante commission ; et Constance, qui
désirait seulement la conclusion de la paix, espéra que le rang du premier,
l’adresse du second, et l’éloquence du troisième [2127] , obtiendraient
de Sapor un adoucissement à ses prétentions. Mais leur négociation échoua par
l’opposition et les manoeuvres d’Antoninus, sujet romain [2128] . Forcé par
l’oppression de fuir de la Syrie, il avait été admis dans les conseils de
Sapor, et même à sa table royale, où, selon l’usage des Persans, se discutaient
les affaires les plus importantes [2129] .
L’adroit réfugié satisfaisait par les mêmes moyens à son intérêt et à sa
vengeance. Il excitait sans cesse l’ambition de son nouveau maître à profiter
du moment où l’élite des troupes palatines était occupée avec l’empereur à
combattre sur les bords éloignés du Danube, et où les provinces épuisées de
l’Orient offraient une conquête facile à ses nombreuses armées de Persans ;
maintenant fortifiées par l’alliance et la jonction des plus redoutables
d’entre les Barbares. Les ambassadeurs romains se retirèrent sans succès ; et
ceux qui leur succédèrent, quoique d’un rang supérieur, furent enfermés dans
une étroite prison, et menacés de la mort ou de l’exil.
L’historien militaire [2130] ,
envoyé pour observer l’armée des Persans tandis qu’ils construisaient un pont
de bateaux sur le Tigre, monta sur une colline d’où il vit toute la plaine
d’Assyrie, aussi loin que l’horizon lui permettait de l’apercevoir, couverte de
soldats, d’armes et de chevaux, et Sapor à leur tête, vêtu d’un habit éclatant
de pourpre. À sa gauche, la place d’honneur chez les Orientaux, Grumbates, roi
des Chionites, présentait le maintien austère d’un guerrier vénérable par ses
années, et célèbre par ses exploits. A la droite de Sapor était, dans un rang
pareil, le roi d’Albanie, qui amenait des rives de la mer Caspienne ses tribus
indépendantes. Les satrapes et les généraux étaient placés selon leur race, et
en outre de la foule immense de femmes et d’esclaves qui suivent toujours les
armées orientales, on comptait plus de cent mille combattants effectifs, tous
exercés à la fatigue, et choisis parmi les plus braves nations de l’Asie. Le
transfuge romain, qui dirigeait en grande partie le conseil de Sapor, lui avait
sagement recommandé de ne pas perdre la belle saison à entreprendre des sièges
longs et difficiles ; mais de marcher vers l’Euphrate, et de s’emparer sans
délai de la faible et opulente capitale de la Syrie. Mais à peine entrés dans
les plaines de la Mésopotamie, les Perses s’aperçurent qu’on avait pris toutes
les précautions propres à retarder leurs progrès et à déconcerter leurs
desseins. Les habitants et leurs troupeaux étaient retirés dans des forteresses
; les fourrages verts avaient été brûlés sur pied ; des pieux serrés et
pointus défendaient les gués des rivières ; on avait garni la rive opposée de
machines de guerre,
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