Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
[2149] .
Les Allemands, délivrés de la crainte d’une invasion, se
préparèrent à châtier le jeune Romain qui prétendait leur disputer la
possession d’un pays auquel ils avaient droit par des traités précédés de la
conquête. Ils employèrent trois jours et trois nuits à transporter leur armée
sur le Rhin. Le féroce Chnodomar, agitant la pesante javeline dont il s’était
victorieusement servi contre le frère de Magnence, conduisait l’avant-garde des
Barbares, et modérait, par son expérience, l’ardeur martiale qu’il inspirait
par son intrépidité [2150] .
Il était suivi de six autres rois, de dix princes d’extraction royale, d’une
nombreuse troupe de vaillante noblesse, et de trente-cinq mille des plus braves
soldats de la Germanie. La confiance qu’ils avaient en leurs propres forces,
fut augmentée par la trahison d’un déserteur qui déclara que le César occupait,
avec une faible armée de treize mille hommes, un poste environ à vingt et un
milles de leur camp de Strasbourg. Avec ces forces inférieures, Julien résolut
de chercher et d’attaquer les Barbares. Le hasard d’une action générale lui
parut préférable à l’incertitude fatigante d’une multitude de combats séparés
avec les différents corps de l’armée allemande. Les Romains marchèrent serrés
sur deux colonnes, la cavalerie à droite, et l’infanterie à gauche. Le jour
était si avancé quand ils aperçurent les ennemis, que Julien proposa de
différer la bataille jusqu’au lendemain pour donner le temps aux soldats de
réparer, par la nourriture et le repos, leurs forces épuisées. Cédant néanmoins
avec répugnance à leurs clameurs, et même à l’avis de son conseil, il exhorta
ses troupes à justifier par leur valeur l’indocilité de leur impatience, qui,
si elles étaient vaincues, passerait pour de l’imprudence et de la présomption.
Les trompettes sonnèrent ; le cri de guerre fit retentir la plaine, et les
deux armées s’élancèrent l’une contre l’autre avec une égale impétuosité. Le
César, qui conduisait lui-même l’aile droite, avait mis sa confiance dans
l’adresse de ses archers et dans la force massive de ses cuirassiers ; mais ses
rangs furent rompus par un mélange confus de cavalerie et d’infanterie légère,
et il eut la douleur de voir fuir six cents de ses meilleurs cuirassiers [2151] . Julien, oubliant
le soin de sa propre vie, se jeta au devant d’eux, et, en leur rappelant leur
ancienne gloire, en leur peignant l’infamie dont ils allaient se couvrir, il
parvint à les rallier et à les ramener contre les ennemis victorieux. Le combat
entre les deux lignes d’infanterie était sanglant et obstiné. Les Germains
avaient la supériorité de la force et de la taille ; les Romains celui de la
discipline et du sang-froid : mais comme les Barbares qui combattaient
sous les drapeaux de l’empire réunissaient tous ces avantages, leurs
redoutables efforts, dirigés par un chef habile, décidèrent le succès à la
journée. Les Romains perdirent quatre tribuns et deux cent quarante-trois
soldats dans la mémorable bataille de Strasbourg, si glorieuse pour le jeune
César [2152] ,
et si heureuse pour les provinces opprimées de la Gaule. Six mille Allemands
perdirent la vie, sans compter ceux qui furent noyés dans le Rhin, ou percés de
dards tandis qu’ils tachaient de le passer à la nage [2153] . Chnodomar
lui-même fut entouré et pris avec trois de ses braves compagnons d’armes qui
avaient fait vœu de partager le sort de leur chef, et de ne pas lui survivre.
Julien le reçut avec une pompe militaire au milieu du conseil composé de ses
officiers, et, lui montrant une pitié généreuse, il dissimula le mépris
intérieur que lui donnait la basse soumission de son captif. Au lieu de donner
le roi vaincu des Allemands en spectacle aux villes de la Gaule, le jeune César
fit un respectueux hommage à l’empereur de ce trophée de sa victoire. Chnodomar
reçut un traitement honorable ; mais l’impatient Barbare ne put survivre
longtemps à sa défaite, à sa captivité et à son exil [2154] .
Lorsque Julien eut repoussé les Allemands des provinces du
Haut-Rhin, il tourna ses armes contre les Francs, situés plus près de l’Océan
sur les confins de la Gaule et de la Germanie que leur nombre et plus encore
leur valeur intrépide faisaient considérer, comme les plus formidables des
Barbares [2155] .
Quoiqu’ils se laissassent aller volontiers
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