Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
mur dans ses fondements. Des tours de bois, posées sur des
roues, s’avancèrent, et mirent les soldats, qu’on avait, pourvus de toute
sortes d’armes de trait, à portée de combattre, presque de plain pied, avec
ceux qui défendaient les remparts. Tout ce que le courage et l’art pouvaient
exécuter, fut employé à la défense d’Amida, et le feu des Romains détruisit
souvent les ouvrages de Sapor, mais les ressources d’une ville assiégée ne sont
pas inépuisables. Les Persans réparaient leurs pertes et, avançaient leurs
travaux ; les béliers firent une large brèche, et la garnison réduite et
épuisée ne put résister à l’impétuosité d’un nouvel assaut. Les soldats, les
citoyens, leurs femmes et leur enfants, enfin tous ceux qui n’eurent pas le
temps de fuir par la porte opposée, furent enveloppés par les vainqueurs dans
un massacre général.
Mais la ruine d’Amida sauva les provinces romaines. Quand
les premiers transports, que donne la victoire furent un peu calmés, Sapor dut
réfléchir avec regret que, pour châtier une cité indocile, il avait perdu
l’élite de ses troupes et la saison la plus favorable pour les conquêtes [2135] . Un siége de
soixante-treize jours lui avait enlevé trente mille de ses vétérans tombés sous
les murs d’Amida. Trompé dans son espoir, le monarque retourna dans sa capitale
; en cachant son déplaisir secret sous un extérieur triomphant. Il est plus que
probable qu’une guerre qui avait présenté des obstacles et des dangers
inattendus, dégoûta l’inconstance de ses alliés barbares, et que le vieux roi
des Chionites, rassasié de vengeance, s’empressa de quitter le pays funeste où il
avait perdu l’espoir de sa famille et de sa nation. Les forces et le courage de
l’armée avec laquelle Sapor entra en campagne le printemps suivant, ne
pouvaient plus remplir ses vues ambitieuses. Au lieu d’entreprendre la conquête
de l’Orient, il fallut se contenter de réduire deux places fortes de la
Mésopotamie, Singara et Bezabde [2136] ,
situées l’une dans le milieu d’un désert de sables, et l’autre sur une petite
péninsule entourée presque de tous côtés par le fleuve rapide et profond du
Tigre. Cinq des légions romaines, réduites par Constantin à un nombre de
soldats peu considérable, furent faites prisonnières, et envoyées en captivité
sur les confins les plus reculés de la Perse. Après avoir démantelé Singara, le
conquérant quitta cette ville éloignée et solitaire. Mais il répara
soigneusement les fortifications de Bezabde, la pourvut abondamment de tous les
moyens de défense, et mit dans cette place importante une garnison ou colonie
de vétérans, dans l’honneur et la fidélité desquels il avait la plus grande
confiance. Vers la fin de la campagne, il reçut un échec en essayant d’enlever
Virtha ou Técrit, ville forte des Arabes indépendants, qui passa pour
imprenable jusqu’au règne de Tamerlan [2137] .
La défense de l’Orient contre les armées de Sapor exigeait
et aurait employé les talents du général le plus expérimenté. C’était un
bonheur pour l’État que cette province se trouvât confiée, dans cette
circonstance au brave Ursicinus, qui méritait seul la confiance des peuples et
des soldats. Mais, au moment du danger [2138] ,
les intrigues des eunuques firent rappeler Ursicinus, et le commandement
militaire de l’Orient fut donné, par la même influence, à Sabinien, riche et
rusé vétéran, qui avait atteint l’âge des infirmités sans en acquérir
l’expérience. Un second ordre émané de ces conseils inconstants et soupçonneux
renvoya Ursicinus sur la frontière de Mésopotamie, et le condamna aux travaux
d’une guerre dont les honneurs étaient réservés pour son indigne rival.
Sabinien campa tranquillement, sous les murs d’Édesse ; et, tandis qu’il y
récréait son indolence par une vaine parade d’exercices militaires, tandis
qu’au son des flûtes il exécutait la danse pyrrhique, le soin de la défense
publique était laissée aux talents et à l’activité de l’ancien général. Mais
lorsque Ursicinus présentait un plan vigoureux d’opérations, quand il proposait
de tourner autour des montagnes avec un corps de cavalerie et de troupes
légères pour enlever les convois des ennemis, fatiguer par des attaques la
vaste étendue de leurs lignes, et secourir ville d’Amida, le commandant,
timide et envieux, répondait qu’il avait des ordres
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