Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
monta sur un tribunal qu’il avait fait élever devant les
portes de la ville. A près avoir donné des louanges particulières aux officiers
et aux soldats qui méritaient cette distinction, Julien s’adressa ; dans un discours
étudié, à la généralité des troupes qui l’environnaient. A vanta leurs exploits
avec reconnaissance, les exhorta à accepter l’honneur de servir sous les yeux
d’un monarque puissant et généreux, et les avertit qu’ils devaient aux ordres
d’Auguste une obéissance prompte et volontaire. Les soldats, ne voulant ni
offenser leur général par des clameurs indécentes, ni démentir leurs sentiments
par des acclamations fausses et mercenaires, gardèrent un morne silence, et,
quelques instants après, furent renvoyés dans leurs quartiers. Julien traita
les principaux officiers, et leur témoigna, dans tes termes de la plus vive
affection, le chagrin de ne pouvoir récompenser comme il le désirait les braves
compagnons de ses victoires. Ils se retirèrent de cette fête pleins de douleur
et d’incertitude, et déplorèrent les rigueurs du destin qui, en les arrachant
de leur pays natal, les séparait d’un général si digne de leur affection. Un
seul expédient pouvait le leur conserver : on le discuta hardiment ; il fut
adopté. Le mécontentement de la multitude s’était insensiblement tourné en
conspiration régulière ; les esprits échauffés exagérèrent de justes sujets de
plaintes, et le vin échauffa encore les esprits. Le soir qui précéda leur
départ, les soldats avaient eu la liberté de se livrer aux excès d’une fête. A
minuit, cette impétueuse multitude, armée d’épées, de torches et de bouteilles,
s’élança dans les faubourgs, environna le palais [2486] , et, oubliant
les dangers auxquels elle s’exposait, fit retentir la place du cri fatal et
irrévocable de Julien-Auguste . Ce prince, dont les tristes réflexions
avaient été interrompues par leurs acclamations tumultueuses, fit barricader
ses portes, et, - aussi long- temps qu’il lui fut possible, il déroba sa
personne et sa dignité aux événements d’un désordre nocturne. Mais au point du
jour, les soldats, dont le zèle était irrité par sa résistance, entrèrent de
force dans le palais, et, saisissant l’objet de leur choix avec une
respectueuse violence, le portèrent sur son tribunal, le placèrent au milieu
d’eux, et, l’épée à la main, traversant ainsi les rues de Paris, le saluèrent
comme leur empereur, en répétant à grands cris les mots de Julien-Auguste .
La prudence et la fidélité lui ordonnaient également de résister à leurs
coupables desseins, et de ménager à sa vertu l’excuse- de la violence.
S’adressant alternativement à la multitude et à quelques officiers, tantôt il
les suppliait de ne pas le perdre, tantôt il leur exprimait toute son
indignation ; il les conjurait de ne pas souiller la gloire immortelle de leurs
victoires. Enfin il alla jusqu’à leur promettre que, s’ils rentraient à
l’instant dans le devoir, il tâcherait non seulement d’obtenir pour eux de
l’empereur un pardon plein et sincère, mais encore de faire révoquer les ordres
qui avaient excité leur mécontentement. Mais les soldats connaissaient toute
l’étendue de leur faute, et comptaient plus sur la reconnaissance de Julien que
sur la clémence de Constance. Leur zèle se changea en impatience, et leur
impatience en fureur. L’inflexible César résista jusqu’à la troisième heure du
jour à leurs instances, à leurs reproches et à leurs menaces ; il ne céda
qu’aux clameurs réitérées, qui lui apprirent qu’il fallait ou mourir ou régner.
On l’éleva sur un bouclier, aux acclamations de toute l’armée. Un riche collier
militaire qui se trouva là par hasard lui tint lieu de diadème [2487] ; la promesse
d’une modique gratification [2488] termina la cérémonie ; et le nouvel empereur, accablé d’une douleur ou ruelle
ou simulée, se retira dans l’intérieur de ses appartements secrets [2489] .
La douleur de Julien pouvait venir de son innocence ; mais
son innocence paraîtra douteuse [2490] à ceux qui connaissent assez le caractère général des princes pour se méfier de
leurs motifs, et de leurs protestations. Son âme active et véhémente était
susceptible de différentes impressions, de la crainte et de l’espoir, de la
reconnaissance et de la vengeance, du devoir et de l’ambition, de, l’amour de
la gloire et de la
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