Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
dont
il était cependant à plus de quarante jours de marche au moment du combat [2481] . Une fable si
ridicule ne pouvait cependant ni tromper le public, ni satisfaire la vanité de
l’empereur. Secrètement convaincu que là gloire de Julien lui avait acquis la
faveur et le vœu des Romains, l’esprit inquiet du faible Constance se trouvait
disposé à recevoir les impressions de ces sycophantes artificieux qui cachaient
leurs desseins perfides sous l’extérieur de l’attachement et de la fidélité
pour leur souverain [2482] .
Loin de dissimuler les brillantes qualités de Julien, ils reconnaissaient et
même exagéraient l’éclat populaire de son nom, la supériorité de ses talents,
l’importance de ses services, mais en insinuant obscurément que le brave et
vertueux César pouvait devenir un ennemi criminel et dangereux, si le peuple inconstant
sacrifiait son devoir à son enthousiasme, ou si le désir de la vengeance et
d’une autorité indépendante venait tenter la fidélité du général d’une armée
victorieuse. Le conseil de Constance décorait les craintes personnelles du
souverain du nom respectable de sollicitude paternelle pour la tranquillité
publique, tandis qu’en particulier, et peut-être vis-à-vis de lui-même,
l’empereur déguisait, sous l’apparence d’une crainte moins odieuse que ses
sentiments réels, l’envie et la haine qu’avaient imprimées dans son cœur ces
vertus de Julien qu’il ne savait pas imiter.
La tranquillité apparente des Goules et les dangers qui
menaçaient les provinces de l’Orient, offraient aux ministres impériaux un
prétexte spécieux pour exécuter le dessein qu’ils avaient adroitement concerté.
Us résolurent de désarmer le César, de lui enlever les troupes fidèles, sûreté
de sa personne et soutien de sa dignité, et d’employer dans une guerre éloignée
contre le roi de Perse les intrépides vétérans qui venaient de dompter, sur les
bords du Rhin, les plus belliqueuses nations de la Germanie. Tandis que Julien,
dans ses quartiers d’hiver à Paris, dévouait ses heures laborieuses à
l’administration du pouvoir, qui était pour lui l’exercice du bien, il vit avec
étonnement arriver en toute diligence un tribun et un secrétaire impérial,
chargés d’ordres positifs de l’empereur qui lui défendait de s’opposer à ce
qu’ils exécutassent la commission dont ils étaient spécialement chargés. Quatre
logions entières, les Celtes, les Hérules, les Pétulans et les Bataves,
devaient immédiatement quitter les drapeaux de Julien, sous lesquels ils
avaient marché à la gloire et s’étaient formés à la discipline, et on faisait
dans toutes les autres un choix de trois cents des plus jeunes et des plus vigoureux
soldats. Ce nombreux détachement, la force de l’armée des Gaules, était sommé
de se mettre en marche sans perte de temps, et d’user de la plus brande
diligence pour arriver sur les frontières de la Perse avant l’ouverture de la
campagne [2483] .
Le César prévit et déplora les suites de cet ordre funeste. La plupart des
auxiliaires s’étaient engagés volontairement, sous la condition expresse qu’on
ne leur ferait jamais traverser les Alpes. La foi publique et .l’honneur
personnel de Julien avaient été les garants de ce traité militaire. Une si
tyrannique perfidie ne pouvait que, détruire la confiance et irriter les
guerriers des Germains indépendants, qui regardaient la bonne foi comme la
première des vertus, et la liberté comme le bien le plus précieux. Les légionnaires,
qui jouissaient du nom et des privilèges de Romains, étaient enrôlés pour
servir partout à la défense de la république ; mais ces soldats mercenaires
entendaient prononcer avec indifférence les noms de Rome et de république.
Attachés par la naissance ou par l’habitude aux mœurs et au climat des Gaulois,
ils chérissaient et respectaient Julien ; ils méprisaient et haïssaient
peut-être l’empereur, et ils redoutaient une marche pénible, les traits des
Persans, et les déserts brûlants de l’Asie. Ils regardaient comme leur patrie
le pays qu’ils avaient sauvé, et s’excusaient de leur défaut de zèle sur le
devoir plus sacré de défendre leurs parons et leurs amis. D’un autre côté, les
habitants du pays voyaient avec effroi le danger inévitable dont ils étaient
menaces ; ils soutenaient qu’aussitôt que les Gaules n’auraient plus (le forces
respectables à leur opposer, les
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